Lumière sur une statisticienne
Silvia Fagnoni n’imaginait pas entreprendre une thèse en mathématiques. Elle a découvert la statistique tardivement, sur les bancs de l’université, grâce à ses cours d’économie. Dès lors, elle s’est prise de passion pour la discipline. Titulaire d’un doctorat en mathématiques, elle est aujourd’hui chef du groupe Statistique et Outils d’Aide à la décision (SOAD) à EDF.
Silvia Fagnoni n’imaginait pas entreprendre une thèse en mathématiques. Elle a découvert la statistique tardivement, sur les bancs de l’université, grâce à ses cours d’économie. Dès lors, elle s’est prise de passion pour la discipline. Titulaire d’un doctorat en mathématiques, elle est aujourd’huichef du groupe Statistique et Outils d’Aide à la décision (SOAD) à EDF.
« En Italie, il n’existe pas de thèses CIFRE. Là-bas, le doctorat reste une formation très académique. »
Dès le début de sa thèse, Silvia Fagnoni envisage d’autres pistes que la recherche académique. C’est pourquoi elle choisit d’effectuer un stage de neuf mois dans un centre de recherche industriel, le Centre de Recherches et Investigations Epidermiques Sensorielles (CERIES) de Chanel. Elle y trouve un cadre et des données d’applications pour son travail de recherche. « Une expérience plutôt rare », confie-t-elle. « J’étais étudiante à l’université Federico II de Naples. En Italie, il n’existe pas de thèses CIFRE. Là-bas, le doctorat reste une formation très académique. Ce stage m’était donc apparu comme une vraie opportunité. »
Le centre de recherche EDF
Devenue docteure en mathématiques, Silvia Fagnoni se tourne vers le centre de recherche EDF. Un choix motivé par la réputation de ce centre, sa taille – il emploie plus de 2000 personnes – et la part qu’il laisse à la statistique. Recrutée, Silvia Fagnoni débute comme ingénieur de recherche au département Innovation Commerciale, Analyse des marchés et de leur Environnement (ICAME). Cinq ans plus tard, en 2009, elle devient responsable de l’équipe de recherche SOAD, qui regroupe une quinzaine de personnes : « Un poste extrêmement enrichissant. »
35 millions de courbes de consommateurs à analyser
Son travail actuel à EDF s’inscrit dans le contexte d’ouverture du marché à la concurrence. « Désormais, nos clients peuvent choisir un autre fournisseur. Notre objectif est qu’ils restent à EDF. » Silvia Fagnoni met donc en place des modèles de satisfaction et de fidélité. Ce qui exige une bonne connaissance des clients : « Nous cherchons à savoir comment l’image d’une marque, en l’occurrence EDF, est perçue. » Le moyen privilégié pour trouver une réponse à cette question est de regarder sur le net : « Nous avons une vision globale : nous cherchons les tendances d’expressions sur le web autour de problèmes énergétiques. Nous établissons des graphes de connections, que nous analysons ensuite. » Outre le net, son équipe disposera bientôt d’autres données, celles transmises par les compteurs communicants. « Ces compteurs enregistreront les consommations en temps réel. Nous disposerons donc de 35 millions de courbes de consommateurs à analyser ! Avec des informations aussi fines, nous pourrons mettre en place des services particulièrement adaptés et maintenir facilement l’équilibre entre l’offre et la demande. » Un travail qui nécessite de traiter des données massives : « Nous sommes confrontés à un très grand nombre de données. Certaines entreprises (Google, Facebook, Twitter, etc.) sont rompues à cet exercice, mais pour nous c’est encore nouveau, et cela demande des compétences techniques fortes. » Derrière le stockage et la gestion de base de ces données, se trouvent en effet des mathématiques appliquées. « Des méthodes d’apprentissage automatique, des modèles statistiques, de l’analyse de données, du calcul matriciel, de l’analyse de séries temporelles, … », détaille-t-elle.
« Les docteurs en mathématiques ont toute leur place dans le domaine de l’industrie. »
Parce que son travail requiert un haut niveau de connaissances techniques, Silvia Fagnoni privilégie les titulaires d’un doctorat dans le recrutement. De fait, son équipe compte une dizaine de docteurs en mathématiques : « Ces candidats se démarquent. » Elle précise : « Le doctorat est avant tout une démarche scientifique. Vous vous posez une question, et pour y répondre, vous apprenez à travailler en autonomie dans une équipe, à interagir avec des scientifiques aux compétences variées, et cette capacité d’interaction facilite une meilleure connaissance de la communauté scientifique. Un diplômé d’école d’ingénieurs a une formation de très bonne qualité, mais très généraliste. Quand nous souhaitons recruter un spécialiste des modèles de prévision à partir des séries temporelles, nous cherchons plutôt un docteur en mathématique, qui sera déjà opérationnel. Et s’il bute sur une question pointue, il saura où chercher : il lit des revues spécialisées, va à des conférences, dispose d’un réseau académique, … Il a également l’habitude de valoriser son travail scientifique, en publiant par exemple. C’est en effet important de montrer à la communauté scientifique ce qu’on sait faire. » Elle conclut : « Les docteurs en mathématiques ont toute leur place dans le domaine de l’industrie. Et particulièrement dans celui de l’énergie, qui est en pleine évolution ! »
Sous la conduite des mathématiques
Michel Roesch a toujours eu le goût des mathématiques appliquées. Cet ancien normalien, titulaire d’un doctorat, s’est résolument tourné vers le secteur industriel. En effet, il est aujourd’hui responsable du plan de montage sur l’ensemble des usines PSA Peugeot, en France aussi bien qu’à l’international. Portrait d’un mathématicien dans l’industrie automobile.
Michel Roesch a toujours eu le goût des mathématiques appliquées. Cet ancien normalien, titulaire d’un doctorat, s’est résolument tourné vers le secteur industriel. En effet, il est aujourd’hui responsable du plan de montage sur l’ensemble des usines PSA Peugeot, en France aussi bien qu’à l’international. Portrait d’un mathématicien dans l’industrie automobile.
Des équations d'Euler à PSA Peugeot
En entrant à l’ENS, Michel Roesch songe plutôt à la recherche. Après un DEA de mathématiques appliquées à l’Université Paris 6, il commence une thèse qu’il intitule Contribution à la géométrie des fluides parfaits incompressibles. Son travail traite d’un problème précis : si l’on se donne des conditions initiales mais aussi finales, comment optimiser une trajectoire de manière à ce que l’énergie consommée soit minimale ? Il montre qu’il n’existe qu’une seule solution à ce problème, et recourt pour ce faire aux équations d’Euler incompressibles. « Les plus simples : la viscosité n’y apparaît pas », explique-t-il. Sa thèse trouve de nombreuses applications, dans l’aéronautique par exemple, ou encore pour prévoir la diffusion de la pollution : « Une thèse assez abstraite toutefois, et très mathématique. » En parallèle de son travail de recherche, Michel Roesch est scientifique du contingent, en poste au centre commun de recherche d’EADS. Là, il travaille sur des problèmes de simulation numérique pour des moteurs d’hélicoptères. Cette première expérience professionnelle lui donne envie de travailler dans le secteur privé : « Je souhaitais allier réflexion et réalisation. L’entreprise m’attirait par ses aspects concrets. » Durant sa dernière année de thèse, il entame des études au Corps des mines. Sa soutenance passée et son diplôme d’ingénieur en poche, il entre au Ministère de l’industrie. Les sous-sols de la région Île-deFrance constituent son secteur d’activité, puisqu’il gère alors les risques liés à l’effondrement de carrières. Pas de mathématiques à l’œuvre, mais de la gestion d’équipes et du management. Cinq ans plus tard, il renoue avec son envie de travailler en entreprise, et rejoint PSA Peugeot.
"Construire une voiture est un sujet extrêmement complexe. Quelque part, on peut y voir un paralèle avec la résolution d'un problème mathématique ardu."
Il se sent attiré par le secteur automobile, avec lequel il s’est déjà familiarisé lors d’un stage au Corps des mines : « Construire une voiture est un sujet extrêmement complexe. Quelque part, on peut y voir un parallèle avec la résolution d’un problème mathématique ardu. » D’abord recruté à un poste de responsable commercial, il devient responsable des relations clientèles et gère tant les contentieux que l’aspect médiatique de l’entreprise. Puis il s’attelle à définir les cahiers des charges des Peugeot 3008 et 5008. « Le cahier des charges indique la taille, la forme, la puissance, le prix, le type de clients visés, les coûts, en bref tous les aspects de la production y sont détaillés. Il permet d’avoir une vision globale du produit », explique-t-il. « Construire un véhicule, c’est faire en permanence des compromis. Sauf sur quelques points techniques que nous souhaitons exceptionnels, et qui classent le véhicule au-dessus de la norme. » Quatre ans plus tard, les voitures sont commercialisées. Michel Roesch arrive alors à un nouveau poste, plus opérationnel, celui de directeur de montage de l’usine PSA Peugeot de Valenciennes. « Une usine automobile se divise en trois secteurs, qui correspondent à différentes étapes de la construction : le ferrage, la peinture et enfin le montage, où l’on ajuste les roues, les sièges, les rétroviseurs, les moteurs, les vitres, ... Mon travail consistait alors à garantir quotidiennement la production, tant en qualité qu’en coût, délais et sécurité. » Deux ans plus tard, il accède à son poste actuel, responsable du plan de montage sur l’ensemble des usines PSA Peugeot. Son activité s’étend à une douzaine d’usines, situées en Europe et en Amérique latine. « Je suis désormais dans la planification à long terme. Les questions sur lesquelles je me penche sont les suivantes : qu’est ce que PSA Peugeot va fabriquer comme véhicules ? Dans quelle(s) usine(s) ? Où et quand affecter les produits nécessaires à la production ? Telle usine gagnerait-elle à se spécialiser, selon la taille du véhicule par exemple ? » Un poste clé donc, et de nombreux interlocuteurs avec qui travailler. « Depuis que je suis rentré à PSA Peugeot, j’ai alterné les postes opérationnels et les postes stratégiques », résume-t-il.
"Ecrire une thèse, c'est gérer un projet dans la durée"
Michel Roesch reconnaît que son doctorat lui a beaucoup apporté. « Ecrire une thèse, c’est gérer un projet dans la durée. Ce n’est pas un sprint, mais bien plutôt un marathon ! J’y ai acquis de la ténacité, ce qui est très important quand on travaille en entreprise. » Selon lui, le doctorat permet d’aller au fond des choses et de s’attaquer à des problèmes particulièrement complexes. « Ce que j’en retire encore aujourd’hui, c’est un esprit de rigueur et de synthèse, fort utile pour appréhender l’inconnu et la difficulté. »
Un mathématicien à l'écoute
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure et docteur en mathématiques, Olivier Jacquinot est passé de la théorie des nombres aux télécommunications, puis au conseil. Il dirige actuellement Progressus Corporation, un cabinet de conseil et d’expertise qu’il a fondé voilà bientôt dix ans, avec deux associés.
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure et docteur en mathématiques, Olivier Jacquinot est passé de la théorie des nombres aux télécommunications, puis au conseil. Il dirige actuellement Progressus Corporation, un cabinet de conseil et d’expertise qu’il a fondé voilà bientôt dix ans, avec deux associés.
Une thèse en mathématiques fondamentales
Olivier Jacquinot se tourne d’abord vers la théorie des nombres, qu’il étudie à l’ENS, et se lance dans une thèse qui traite de la théorie de Kummer sur les groupes algébriques. « J’avais l’esprit totalement investi par mon sujet », se souvient-il. Au cours de son doctorat, il rencontre le célèbre théoricien des nombres Kenneth Ribet, avec qui il cosigne deux articles. Cependant, sa soutenance passée, c’est à l’Ecole nationale supérieure des télécommunications qu’il poursuit ses études : « Comme il était compliqué d’avoir un poste de chercheur au CNRS, j’ai jeté un coup d’œil du côté des grands corps d’état. »
Un virage des mathématiques à l’économie, puis au conseil
Diplômé, il est recruté à France Télécom, où son arrivée coïncide avec la libéralisation du marché des télécommunications. Dans ce contexte, il s’attelle à préparer l’ouverture du marché à la concurrence et occupe divers postes à la stratégie, l’économie et la régulation. Un virage des mathématiques à l’économie donc, qu’il entreprend sans suivre de formation particulière : « Cette transition s’est faite naturellement, j’ai beaucoup appris sur le terrain. » Il reste dix ans à France Télécom, avant de partir vers le conseil : « Cette profession m’attirait, je la trouvais intellectuellement passionnante, d’autant plus qu’elle permet de toucher à des sujets extrêmement variés. » Olivier Jacquinot passe alors six ans au sein de grands cabinets internationaux, KPMG puis Deloitte. « Des marques fortes, des structures bien rodées, au sein desquelles j’ai pu travailler pour de nombreux clients. J’y ai beaucoup appris, tant sur le plan de la stratégie que du processus de vente. En effet, le métier de consultant consiste non seulement à apporter une expertise, mais également à vendre la mission mise au point avec le client. » Un lien avec les télécommunications subsiste dans sa pratique de consultant, car Olivier Jacquinot compte parmi ses clients de nombreux opérateurs et régulateurs : « L’ouverture du marché des télécommunications a eu pour conséquence l’arrivée de nouveaux opérateurs, qui avaient besoin de définir une stratégie de lancement. » Il ajoute toutefois : « J’étais également sollicité au niveau des secteurs de la santé et de l’énergie. »
« Je suis parti pour gagner en liberté, et pour innover. »
En 2004, il décide de quitter Deloitte : « Débuter dans un grand cabinet est une expérience très formatrice. Mais de nombreuses règles contraignantes y sont en vigueur, notamment en ce qui concerne le choix des clients. Je suis parti pour gagner en liberté, et pour innover. » Il crée alors Progressus Corporation, avec deux associés. Cabinet de conseil et d’expertise en stratégie et développement, Progressus Corporation reçoit des clients aux profils variés : gouvernements, sociétés cotées, entreprises et organisations des secteurs privé, public et associatif, tant en France qu’à l’international. Rapidement, l’activité du cabinet se concentre à 80% sur le secteur des télécommunications. « Les 20% restants, ce sont des industries de réseaux, dans les secteurs postal et énergétique. » Il donne volontiers un exemple de mission: « Récemment, un régulateur étranger nous a sollicité. Il souhaitait réguler les tarifs de gros des opérateurs du pays, notamment en ce qui concerne l’interconnexion, c’est à dire la dé- finition du prix que doit payer un opérateur A à un opérateur B pour accéder à son réseau. Sachant que ces tarifs d’interconnexion ont tendance à baisser rapidement : en France, en l’espace de cinq ans, ils ont été divisé par vingt ! » Il continue : « Nous sommes sollicités majoritairement par des opérateurs ou des régulateurs en Afrique, où le marché des mobiles a explosé ces dernières années. » Progressus Corporation adopte toujours une double approche, ingénierie des réseaux d’un côté et économique de l’autre, et travaille avec des partenaires, en particulier avec des ingénieurs des télécommunications et des cabinets d’avocat.
« Ma formation scientifique m’apporte tous les jours, en termes de rigueur, de raisonnement, d’outils et de pratiques. »
Olivier Jacquinot en est convaincu : sans les mathématiques, il ne travaillerait pas comme il le fait aujourd’hui. « Ma formation scientifique m’apporte tous les jours, en termes de rigueur, de raisonnement, d’outils et de pratiques. Et j’ai trouvé les mathématiques d’une utilité remarquable pour l’écriture de rapports. Un bon rapport nécessite de construire une structure de raisonnement logique : il faut faire ressortir les évidences, les hypothèse, les failles, arriver à une conclusion qui tienne la route,... il s’agit bien là de mathématiques ! » Il conclut : « Pour moi, les mathématiques, notamment exercées au niveau du doctorat, ont été tout à fait essentielles. »
A fond de train
Docteur en mathématiques, Pierre Messulam a fait l’essentiel de sa carrière dans le groupe SNCF, où il occupe aujourd’hui le poste de Directeur de la stratégie ferroviaire et de la régulation. Retour sur un parcours qui mêle mathématiques, réseaux ferroviaires, sécurité, stratégie et innovation.
Docteur en mathématiques, Pierre Messulam a fait l’essentiel de sa carrière dans le groupe SNCF, où il occupe aujourd’hui le poste de Directeur de la stratégie ferroviaire et de la régulation. Retour sur un parcours qui mêle mathématiques, réseaux ferroviaires, sécurité, stratégie et innovation.
« Ma formation de mathématicien m’a bien servi »
Après un DEA de mathématiques appliquées, Pierre Messulam, alors étudiant à l’ENS, entame une thèse en théorie des systèmes probabilistes. Il la soutient en 1983 et entre au Corps des Mines. Il en sort avec le titre d’Ingénieur en Chef. Son premier poste, il l’obtient alors à l’Agence de Sûreté nucléaire, où il est recruté comme inspecteur de centrale. « Ma formation de mathématicien m’a bien servi, notamment en ce qui concerne les intégrales et les équations aux dérivées partielles », se souvient-il. « Je travaillais en effet sur des dossiers très techniques, qui nécessitaient de dialoguer fréquemment avec des experts. » Il y reste quatre ans, avant de rejoindre SNCF en 1989.
« Je suis chargé de définir la stratégie du Groupe SNCF dans des domaines aussi variés que l’ouverture à la concurrence, les règles européennes ou encore les priorités d’investissement »
Sa première mission concerne la sécurité. Il est chargé de développer une démarche axée sur les facteurs humains dans ce domaine. Il dirige ensuite l’atelier d’entretien des rames TGV de Châtillon, et s’occupe en parallèle de la mise en service du TGV Atlantique. Puis il devient Directeur délégué aux infrastructures de la région Paris Rive Gauche, qui comporte entre autres la ligne C du RER et la Gare de Paris-Montparnasse. Là, il dirige tant des travaux de remise en état de la ligne C du RER – une des plus fréquentées d’Europe ! - que le bureau d’études qui se penche sur les méthodes de signalisation. Devenu Directeur Régional de Paris Sud Est, il est en charge de la ligne TGV Paris-Lyon. Direction la Suisse pour son prochain poste. En effet, il devient Directeur général adjoint du Groupe Ermewa à Genève, où son activité se concentre sur le secteur des wagons. Puis il s’attelle au projet TGV Rhin-Rhône, qu’il dirige jusqu’en décembre 2010. La mise en service de cette ligne a lieu un an plus tard. Pierre Messulam est alors à un nouveau poste, celui qu’il occupe actuellement : Directeur de la stratégie ferroviaire et de la régulation. « Je suis chargé de définir la stratégie du Groupe SNCF dans des domaines aussi variés que l’ouverture à la concurrence, les règles européennes ou encore les priorités d’investissement », explique-t-il. Il dirige également le projet ERTMS, qui vise à développer une nouvelle génération de contrôle commande informatisé, c’est à dire une nouvelle génération de signalisation à base d’informatique. « Nous commençons la mise en service, mais il reste des difficultés techniques à résoudre », précise-t-il.
Un lien très fort avec les mathématiques
S’il ne ne penche plus sur les équations aux dérivées partielles, Pierre Messulam conserve toutefois un lien très fort avec les mathématiques. D’abord parce qu’il supervise le secteur R&D qui touche à la modélisation : « SNCF travaille en effet avec des laboratoires académiques afin de modéliser l’écoulement du trafic. Les modélisations obtenues servent ensuite à mettre au point des algorithmes d’aide à la décision, qui permettent par exemple de prévenir les retards sur un réseau. La mission du secteur R&D que je supervise est de faire le pont avec les mathématiciens. Ils disposent d’outils qui peuvent nous aider ; à nous de bien leur expliquer ce qu’on cherche à modéliser. » Il poursuit : « La modélisation est un exercice très sophistiqué. De nombreuses questions exigent des réponses précises : que souhaite-on modéliser, à quels degrés de finesse et de simplification, et avec quel étalonnage ? Il s’agit de définir à partir de ces questions un vrai problème mathématique, ce qui exige beaucoup de ténacité de la part de l’entreprise. » Une collaboration fructueuse selon lui, bien que ralentie parfois par la rigidité des processus administratifs.
« Ma formation en mathématiques m’a apporté de la rigueur dans la synthèse et l’analyse. »
Par ailleurs, Pierre Messulam considère que les mathématiques lui sont toujours précieuses au quotidien : « En termes de méthode, bien sûr, notamment quand il s’agit d’aborder un sujet inconnu. J’ai toujours un réflexe bibliographique ! Pour le raisonnement également : ma formation en mathématiques m’a apporté de la rigueur dans la synthèse et l’analyse. J’ai conservé une approche analytique. Quand un problème se pose à moi, je le décompose, et je cherche la cohérence des éléments entre eux. » Fort de son bagage scientifique, Pierre Messulam encourage vivement les jeunes diplômés en mathématiques qui le souhaitent à se tourner vers l’entreprise : « Il y a toujours besoin de gens qui savent bien raisonner ! »
A l'assaut des mathématiques
Quand il étudiait à l’Ecole Normale Supérieure, Emmanuel Chiva s’imaginait chercheur en biologie moléculaire. Biologiste de formation, ce n’est qu’au moment de sa thèse qu’il se tourne vers les mathématiques et l’informatique. Aujourd’hui, ce docteur en biomathématiques est directeur général de Silkan, une entreprise qu’il a contribué à créer, spécialisée dans la simulation militaire et notamment la simulation embarquée.
Quand il étudiait à l’Ecole Normale Supérieure, Emmanuel Chiva s’imaginait chercheur en biologie moléculaire. Biologiste de formation, ce n’est qu’au moment de sa thèse qu’il se tourne vers les mathématiques et l’informatique. Aujourd’hui, ce docteur en biomathématiques est directeur général de Silkan, une entreprise qu’il a contribué à créer, spécialisée dans la simulation militaire et notamment la simulation embarquée. Portrait.
MASA Group
Emmanuel Chiva soutient sa thèse de biomathématiques en 1996. Son sujet, Modélisation du réseau de régulation des protéines, fait appel à la théorie des systèmes complexes. Diplômé, il rejoint le laboratoire de bioinformatique de l’ENS. « C’est à partir de ce laboratoire de recherche que MASA Group a été créé », explique-t-il. L’opération accomplie par Emmanuel Chiva et d’autres s’appelle un spin-off : une sorte de scission, où une nouvelle entreprise est créée à partir d’un organisme plus grand. « De fait, le laboratoire où je travaillais a été scindé en deux : une partie a rejoint le laboratoire d’informatique LIP6 de l’Université Paris 6, l’autre est devenue MASA Group, une société spécialisée au départ dans les mathématiques appliquées, la robotique et la biologie. » Emmanuel Chiva devient alors Vice Président de MASA Group. « Nous nous inspirions de la biologie pour créer des robots, et à l’inverse, nous nous inspirions de l’informatique et des mathématiques pour mettre au point des outils d’analyse de séquences dans l’ADN. » En 2001, MASA Group met au point un jeu vidéo de simulation pour la défense, en partenariat avec Ubisoft. « Du serious gaming », précise-t-il. C’est à dire un jeu vidéo qui mêle ressorts ludiques et intérêt pédagogique – ici, l’entraînement militaire. Le jeu conçu par MASA Group présente plusieurs innovations : « D’abord, nous avions modélisé des entités qui n’apparaissaient habituellement pas dans ce genre de jeu, à savoir des entités de type journaliste, ONG et foule. Ensuite, l’ennemi, piloté par une intelligence artificielle, pouvait s’adapter aux joueurs. Enfin, ce jeu permettait de donner des ordres non pas à des individus, mais à des entités entières, qui elles-mêmes pouvaient transmettre les ordres de manière individuelle. »
Simulation technico-opérationnelle, simulation numérique, contrôle commande et communication en temps réel
Sans surprise, la DGA se montre très intéressée par le jeu vidéo. MASA Group remporte plusieurs appels d’offres dans le domaine de la simulation militaire et amorce une reconversion fin 2007. Mais Emmanuel Chiva a déjà une longueur d’avance : avec un docteur en informatique, il crée HPC Project en juin 2007. L’entreprise, qui emploie une centaine de personnes réparties entre la France et le Canada, change de nom en 2012 pour devenir Silkan. Emmanuel Chiva en est le directeur général, en charge du management, du business development et du marketing opérationnel : « Mon rôle est de définir ce que fait l’entreprise. » De fait, l’activité de Silkan se répartit dans trois grands domaines. La simulation technico-opérationnelle d’abord, qui permet de recréer par ordinateur des décors de guerre et de s’entraîner dans un monde virtuel. « Ce type de simulation recourt à de l’intelligence artificielle, à des bases de données de terrain et à des moteurs 3D. » Le deuxième domaine est celui de la simulation numérique, et étudie la dispersion de particules et le comportement de la structure de matériaux, en cas d’explosion par exemple. Les techniques mathématiques à l’œuvre relèvent du calcul multiphysique, pour modéliser la complexité. Le contrôle commande et la communication en temps réel constituent le troisième domaine d’activité. « La force de Silkan, c’est de connecter ces différents domaines entre eux. Nous disposons de l’ensemble de ces compétences en interne, ce qui est assez unique. » Ces techniques combinées permettent à l’entreprise d’offrir par exemple la possibilité de s’entraîner face à plusieurs écrans. Mais Silkan va plus loin, et propose entre autres la simulation embarquée, qui consiste à intégrer au sein de vrais véhicules des capacités de simulation. « La simulation embarquée permet de s’entraîner directement à bord du véhicule, qui dispose de deux modes, « opérationnel » (environnement réel) et « entraînement » (environnement virtuel). » Des prouesses techniques qui intéressent armées, intégrateurs de défense et équipementiers.
"L'association de différentes sensibilités est un plus"
« La simulation embarquée permet de s’entraîner directement à bord du véhicule, qui dispose de deux modes, « opérationnel » (environnement réel) et « entraînement » (environnement virtuel). » Des prouesses techniques qui intéressent armées, intégrateurs de défense et équipementiers. Silkan s’investit dans des projets de recherche collaboratifs, notamment avec des laboratoires du secteur public, et finance des thèses CIFRE. « L’association de différentes sensibilités est un plus », note Emmanuel Chiva, qui n’hésite pas à recruter des titulaires de doctorat : « Pour leur capacité à raisonner de manière scientifique et rigoureuse, leur culture scientifique et leur domaine d’expertise, qui les rend directement opérationnels. » Une formation pointue, à laquelle il propose d’ajouter des cours d’entrepreneuriat et des stages en entreprise : « On gagnerait certainement à plus de perméabilité ! »
ALGORITHMES AU COMMANDE
Passionné d’informatique, Jérôme Lacaille s’est cependant tourné vers les mathématiques. Cet ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, titulaire d’un doctorat, est aujourd’hui expert émérite au sein du Groupe Safran, où il développe des algorithmes pour Snecma. Retour sur une trajectoire professionnelle qui mêle compétences techniques et entrepreneuriales, mathématiques et programmation, start-up et grand groupe industriel.
Passionné d’informatique, Jérôme Lacaille s’est cependant tourné vers les mathématiques. Cet ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, titulaire d’un doctorat, est aujourd’hui expert émérite au sein du Groupe Safran, où il développe des algorithmes pour Snecma. Retour sur une trajectoire professionnelle qui mêle compétences techniques et entrepreneuriales, mathématiques et programmation, start-up et grand groupe industriel.
Miriad Parallel Processing
Jérôme Lacaille étudie à l’ENS et à l’Université Paris-Sud, où il se passionne pour les probabilités et la statistique. C’est également là qu’il rencontre Robert Azencott, son futur directeur de thèse, brillant probabiliste, qui aura un rôle déterminant dans la suite de son parcours. Sous sa direction, Jérôme Lacaille entreprend une thèse intitulée Machines de Boltzmann. Théorie et Applications. « Mes recherches portaient sur la modélisation aléatoire du cerveau. Je souhaitais établir une loi de comportement d’échange entre les neurones. Un sujet qui relevait de la statistique, et qui touchait également à l’intelligence artificielle », précise-t-il. Il soutient en 1992 et peu de temps après rejoint Robert Azencott pour travailler au sein de Miriad Parallel Processing, un bureau d’études que ce professeur de l’ENS a monté. « Nous avions mis en place une plate-forme informatique afin que des mathématiciens puissent collaborer entre eux », se souvient Jérôme Lacaille. L’activité principale de Miriad Parallel Processing est toutefois la détection d’anomalies dans les signaux. Des supercalculateurs et de l’intelligence artificielle sont à l’œuvre.
« Il fallait mettre au point un système qui analyse l’ensemble de la production, c’est à dire un très grand nombre de machines. »
En 1999, le bureau d’études devient start-up, sous le nom de Miriad Technologies. La détection d’anomalies est toujours au cœur de son activité : la start-up développe des logiciels capables de traiter des données en très grand nombre, d’y détecter et d’y visualiser les problèmes. Jérôme Lacaille devient le directeur R&D. Les clients viennent du secteur industriel, notamment de l’aéronautique. Le 11 septembre 2001 est un coup dur pour Miriad Technologies. « Nous avons perdu beaucoup de clients », explique-t-il. L’entreprise se reconvertit dans la finance et les systèmes de fonds de placement automatique, et l’année d’après vers la surveillance de la production de semi-conducteurs : « Là encore, il s’agissait d’analyser des données, de cibler et d’extraire certaines d’entre elles. » En 2004, la start-up passe un contrat avec SI Automation et Jérôme Lacaille se charge alors d’y surveiller la production de semi-conducteurs afin de détecter les défauts de production. « Il fallait mettre au point un système qui analyse l’ensemble de la production, c’est à dire un très grand nombre de machines. Pour ce faire, j’utilisais des wafers, que vous pouvez vous représenter comme de petites araignées capables d’aller récupérer des informations et des données sur n’importe quelle machine et de prédire le comportement de la machine en conséquence. Bien sûr, tout ceci dans un monde informatisé : le système que j’ai mis en place reposait sur la connexion de nombreuses bases de données entre elles. » SI Automation dépose un brevet, et Jérôme Lacaille écrit des articles. En 2006, suite à la commercialisation de Miriad Technologies et à la fusion de SI Automation avec PDF Solutions, il devient directeur R&D au sein du groupe fusionné.
« Écrire une thèse, c’est innover, apporter quelque chose de totalement nouveau, en rupture. Or c’est cela l’innovation : une rupture ! »
En 2007, il arrive à Snecma (Groupe Safran). « J’ai été recruté pour appliquer mes techniques de surveillance de données aux moteurs d’avion. Il y avait un côté très artisanal, car il n’existait alors pas d’algorithmes pour les moteurs d’avion. J’en ai développé plusieurs, capables de prédire la panne, les raisons de cette panne, d’analyser, de comparer... Mon travail consiste à mettre à disposition des ingénieurs des outils mathématiques pointus et efficaces. » Un parallèle certain avec ses précédents postes : « La différence fondamentale, c’est que je suis passé du secteur des semi-conducteurs, où j’ai occupé un rôle majeur dans une petite entreprise, à celui de l’aéronautique, où j’occupe un rôle mineur, bien qu’important, dans un grand groupe industriel ! » Quand il ne se penche pas sur des algorithmes, il enseigne probabilités et statistique à des employés du Groupe Safran, formation mathématique qu’il a lui-même développée. Jérôme Lacaille a par ailleurs toujours maintenu des liens très forts avec le monde de la recherche : entre 1999 et 2009, sa carrière s’est effectuée alors qu’il était en disponibilité, ce qui lui a permis d’obtenir son HDR en 2004 et d’écrire de nombreux articles scientifiques. Un parcours construit sur des compétences techniques fortes, qu’il n’aurait sans doute pas pu accomplir sans sa thèse. « Le doctorat souligne une certaine créativité », ajoute-t-il, avant de conclure : « Écrire une thèse, c’est innover, apporter quelque chose de totalement nouveau, en rupture. Or c’est cela l’innovation : une rupture ! »
Au risque des mathématiques
Raphael Douady a littéralement grandi avec les mathématiques. Son père, Adrien Douady, l’un des grands mathématiciens du XXe siècle, fut reconnu en son temps comme le meilleur spécialiste des fractales. À son tour, Raphael Douady a choisi la voie des mathématiques. Entré à l’ENS en 1978, il est aujourd’hui directeur de la recherche à Riskdata, une société qu’il a contribuée à fonder. Son parcours oscille entre recherche fondamentale et mathématiques financières, secteur public et secteur privé, guidé par un souci constant d’innovation.
Raphael Douady a littéralement grandi avec les mathématiques. Son père, Adrien Douady, l’un des grands mathématiciens du XXe siècle, fut reconnu en son temps comme le meilleur spécialiste des fractales. À son tour, Raphael Douady a choisi la voie des mathématiques. Entré à l’ENS en 1978, il est aujourd’hui directeur de la recherche à Riskdata, une société qu’il a contribuée à fonder. Son parcours oscille entre recherche fondamentale et mathématiques financières, secteur public et secteur privé, guidé par un souci constant d’innovation.
Des systèmes dynamiques aux mathématiques financières
Raphael Douady se spécialise d’abord dans les systèmes dynamiques, un domaine très ergodique, proche des travaux de Cédric Villani. Il y consacre sa thèse, dans laquelle il démontre pas moins de deux théorèmes originaux. Le premier touche à l’évolution des systèmes dynamiques, le second à la géométrie symplectique et aux systèmes hamiltoniens. Il soutient en 1982 et entre au CNRS l’année suivante. En 1986, de retour d’un voyage dans la communauté mathématique brésilienne, il démontre la conjecture d’Arnold, un résultat de géométrie symplectique. Une année de grande production scientifique, qui lui laisse toutefois un sentiment de déconnexion avec la réalité. C’est pourquoi il décide de partir six mois en entreprise. Mis à disposition au CNRS, il entre à Matra, fleuron de l’industrie aérospatiale. Il travaille sur des problèmes d’optimisation de trajectoires, par exemple lors de rendez-vous spatiaux, lorsque deux navettes doivent s’arrimer à la station spatiale, ou encore pour éviter les risques de collision en cas de panne. « Je jonglais entre gestion de risques, analyse de scénarios, théorie du contrôle et théorie de la jouabilité – j’ai eu recours à la théorie des jeux de Nash, par exemple. » De retour au CNRS, il exerce à coté diverses missions de conseil. Il assiste notamment à une démonstration d’IBM, qui présente alors sa première messagerie électronique. Il est également présent lors des premières démonstrations de Windows. Entre 1992 et 1996, il entretient des liens très forts avec des mathématiciens russes, et apprend même à parler la langue. Chercheur au CNRS rattaché d’abord à l’École polytechnique, il passe au département de mathématiques et applications (DMA) de l’ENS Ulm. En janvier 1994, la Société Générale le recrute comme mathématicien. C’est le début d’une passion pour les mathématiques financières, qui ne le quittera plus. « Cette expérience a été extrêmement formatrice. Ils ont fait de moi un probabiliste », reconnaît-il. En septembre de la même année, le voici qui met en place un séminaire de mathématiques financières, à l’IHP. Des mathématiciens renommés, telle Nicole El Karoui, y côtoient industriels et businessmen. Un succès, renouvelé depuis chaque année.
Un mathématicien à multiples facettes
Début 1995, un professeur du Courant Institute de New York le sollicite. « Il souhaitait que je mette en place le même type de séminaire là-bas. » Avec l’accord du CNRS, il devient rattaché au Courant Institute, pendant deux ans. Et effectue à côté des missions pour une banque new-yorkaise, CIBC. En 1997, il revient en France, au laboratoire de mathématiques de l’ENS Cachan. « Il y régnait une ambiance exceptionnelle », se souvient-il. Là, il côtoie notamment Yves Meyer, Prix Gauss 2010 et grand spécialiste de la théorie des ondelettes. Fort de son expérience américaine, Raphael Douady se spécialise toujours plus dans la finance. Arrivent 1998 et le séisme financier. La crise touche les mathématiques quantitatives, avec l’explosion du fond d’investissement LTCM. D’après Raphael Douady, une véritable méfiance envers les mathématiciens s’instaure progressivement dans le milieu financier. Ce qui ne l’empêche pas d’être recruté pour une mission à la Bourse de Paris. Les bourses vont alors être fusionnées, ce qui nécessite d’y mettre des valeurs capitalistiques. Lui s’attelle à estimer les risques liés. Son résultat s’avère extrêmement efficace. La Bourse de Paris lui demande alors de créer un logiciel capable de refaire l’estimation de risques. La réponse de Raphael Douady ne se fait guère attendre. Il décide de créer sa propre entreprise pour produire le logiciel en question. Riskdata voit ainsi le jour en janvier 1999, en collaboration avec d’autres scientifiques. Avec des bureaux à New-York, Londres et Paris, l’entreprise se donne dès le départ une dimension internationale. Riskdata connecte alors des données de marché, les analyse, et fournit un logiciel alimenté par des simulations de marché, qu’elle effectue elle-même. Un service de nettoyage de données traque minutieusement les anomalies. « Une petite erreur au départ, et c’est tout le reste qui se trouve faussé. » Le 11 septembre 2001 marque un coup de frein brutal, mais l’entreprise s’adapte et se développe très bien jusqu’à la crise de 2008, qui la pousse à se redéfinir encore. « Nous sommes revenus à une activité proche de celle des débuts. Il y a aujourd’hui une demande très forte en régulation, et Riskdata fait de nouveau du calcul de risques. » Raphael Douady cumule son poste de directeur et sa charge au CNRS. En effet, après avoir été affilié à l’ENS Cachan, il est aujourd’hui professeur à l’Université Paris 1 – la Sorbonne. Un mathématicien à multiples facettes.
A l'heure du numérique
Xavier Lazarus ne compte plus le nombre de fois où on lui a demandé un exemplaire de sa thèse. Récemment encore, un étudiant américain le contactait à ce sujet. Rien de très surprenant : la thèse en question touche à la théorie des groupes, thème de recherche privilégié des mathématiques fondamentales. Ce qui en revanche pourrait surprendre l'étudiant qui le sollicite ainsi, c'est le poste qu'occupe aujourd'hui Xavier Lazarus. Loin des laboratoires de recherche académique, ce dernier a fondé avec deux associés sa propre société d'investissement, Elaia Partners. Retour sur un parcours peu ordinaire, entre recherche fondamentale et création d'entreprise.
Xavier Lazarus ne compte plus le nombre de fois où on lui a demandé un exemplaire de sa thèse. Récemment encore, un étudiant américain le contactait à ce sujet. Rien de très surprenant : la thèse en question touche à la théorie des groupes, thème de recherche privilégié des mathématiques fondamentales. Ce qui en revanche pourrait surprendre l'étudiant qui le sollicite ainsi, c'est le poste qu'occupe aujourd'hui Xavier Lazarus. Loin des laboratoires de recherche académique, ce dernier a fondé avec deux associés sa propre société d'investissement, Elaia Partners. Retour sur un parcours peu ordinaire, entre recherche fondamentale et création d'entreprise.
En thèse au laboratoire d'Orsay
Normalien de la rue d'Ulm, Xavier Lazarus se découvre une passion pour l'algèbre. A la fin de son DEA, il lit les notes prises lors d’un célèbre cours au Collège de France de Jean-Pierre Serre, mathématicien hors pair et plus jeune médaillé Fields à ce jour. Une révélation : il a trouvé son sujet de thèse. « Il s'agissait de généraliser des résultats qui n'avaient été établis jusqu'alors que dans un cas précis. » Fortement ancrées dans l'univers arithmétique, ses recherches s'avèrent ardues. C’est que les méthodes de Serre ne se généralisent pas très bien et qu’il doit piocher dans de nombreuses autres théories les idées manquantes. Les mots qui lui viennent à l'esprit pour caractériser cette période ? « Difficulté et plaisir. » Difficulté de la recherche, qu'il juge trop solitaire, mais plaisir à faire des mathématiques aussi exigeantes. Pourtant, il commence sérieusement à envisager une autre voie que la recherche : « Au sein du laboratoire d'Orsay où je travaillais, je côtoyais des mathématiciens brillants, tels Laurent Lafforgue et Ngo Bao Chau. Les voir à l’œuvre était passionnant, mais je me suis vite rendu compte qu'en tant que chercheur, je n'étais pas fait du même bois ! C'est alors que j'ai commencé à envisager d'autres pistes que la recherche académique. Quelque part, c'était comme si un nouveau champ des possibles commençait à prendre le dessus. »
Les débuts dans l'informatique
Son service militaire intervient comme un coup de frein dans la rédaction de sa thèse. Plusieurs options sont alors possibles pour satisfaire aux obligations de l'Etat. Il choisit de partir enseigner deux ans au Lycée Français de Barcelone. « Je continuais certes à travailler sur ma thèse, mais plus de manière exclusive. » Et de fait, il enseigne règle de trois et pourcentages. Partant du constat que ces concepts de base ne sont pas toujours aisés à faire saisir aux jeunes élèves, il s'intéresse de près aux possibilités qu'offre l'informatique et notamment l’émergence d’Internet pour seconder les enseignants. Très vite, il se découvre là une nouvelle passion : « Je voulais comprendre comment cela fonctionnait. » Il saute le pas et crée sa propre société d'informatique. Dès lors, il revêt une troisième casquette : celle d'entrepreneur.
La création d'Elaia Partners
Ses deux années en Espagne achevées, il rentre en France et soutient sa thèse en 2000. Entre-temps, les éditions Odile Jacob ont pris le contrôle de sa société d'informatique. Convaincu par sa première expérience d'entrepreneur et désormais docteur en mathématiques, il décide de rester dans le monde de l’entreprenariat, mais cette fois ci du côté du financement. Après un détour de deux ans dans la banque, où il apprend le métier, il monte avec deux de ses confrères Elaia Partners, une société d'investissement qui finance des start-up spécialisées dans le numérique. Ce dernier mot a toute son importance. « Nous vivons dans un monde numérisé. Le numérique est un secteur en pleine expansion, le dernier moteur de croissance allumé en France. Et le langage numérique n'est rien d'autre que le langage mathématique », explique Xavier Lazarus. Au quotidien, il reçoit des fondateurs de start-up venus détailler leurs activités et leurs projets. À lui de juger si Elaia Partners peut s'investir ou non dans l'aventure. « À première vue, mon travail ne requiert pas de compétences mathématiques particulières. Mais les sociétés qui nous sollicitent sont très techniques. Je reçois de plus en plus de mathématiciens par exemple, et c'est essentiel de bien saisir leurs projets, de les traduire en termes d'investissement. »
« Je fais en quelque sorte le lien entre recherche et investissement. »
Pour Xavier Lazarus, ce sont les réflexes qui perdurent. Réflexes de mathématicien, de chercheur, de pédagogue aussi. « Ce que je retiens aujourd'hui de ma formation en thèse, c'est d'abord l'effet structurant. Être capable de cerner la structure d’un projet que l'on me présente, d'établir des analogies, d'avoir un point de vue d'ensemble. Il y a quelque chose de très mathématique dans tout ça. » Il mentionne ensuite la culture mathématique, bagage indispensable au quotidien. « Surtout, j'ai vu de l'intérieur ce qu'était la recherche », ajoute-t-il. Expérience formatrice au possible, d'autant plus qu'Elaia Partners finance régulièrement des start-up qui font de la recherche. « Grâce à mon doctorat, je suis devenu leur interlocuteur privilégié. Je fais en quelque sorte le lien entre recherche et investissement. Un lien essentiel pour l'innovation ! »
La médiation en action
Du plus loin qu'elle se souvienne, Jocelyne Canetti a toujours éprouvé un grand intérêt pour les mathématiques. Durant ses études à l'Ecole Normale Supérieure, elle se destinait à la recherche. Devenue docteure en mathématiques, elle a toutefois opté pour le Groupe EDF, où elle occupe aujourd'hui le poste de médiateur. Retour sur une bifurcation réussie.
Du plus loin qu'elle se souvienne, Jocelyne Canetti a toujours éprouvé un grand intérêt pour les mathématiques. Durant ses études à l'Ecole Normale Supérieure, elle se destinait à la recherche. Devenue docteure en mathématiques, elle a toutefois opté pour le Groupe EDF, où elle occupe aujourd'hui le poste de médiateur. Retour sur une bifurcation réussie.
Enseignante-Chercheuse en probabilités
C'est sous la direction de Nicole El Karoui, mathématicienne dont la réputation n'est plus à faire, que Jocelyne Canetti entreprend sa thèse. Son sujet touche aux probabilités, au retournement du temps et aux processus de Markov. Son doctorat en poche, elle entame une carrière d'enseignante-chercheuse à l'université d'Orléans. Mais elle ressent vivement la solitude du chercheur face à la feuille blanche : « C'est un métier sans doute trop solitaire pour moi. J'avais l'impression d'avoir trop peu de gens à qui parler de mes recherches. C'est qu'il y a un aspect presque ésotérique dans la vie de chercheur, que j'ai voulu fuir en fin de compte. » Elle nuance : « C'était avant que Nicole El Karoui ouvre le master Probabilités et Finance à l'Université Paris 6. Elle a su dès lors instaurer une véritable dynamique de recherche dans ce domaine. Peut-être que je ne tiendrais pas le même discours si j'étais restée un peu plus longtemps ! » Pas de regrets toutefois. Son arrivée dans le Groupe EDF marque en effet les débuts d'une reconversion réussie dans l'industrie.
Les débuts à EDF
Elle entre en 1980 à la Direction Générale au Service des Etudes Economiques Générales, où elle est chargée de développer des modèlesd’investissement pour la production d'électricité. « Il fallait être capable d'analyser et de modéliser des phénomènes parfois complexes », se souvient-elle. « Ma formation en mathématiques s'est révélée précieuse. J'utilisais même directement des résultats de ma thèse ! » Cinq ans plus tard, elle entre au Service Clients Grands Comptes. Là, elle établit des contrats spéciaux pour de gros groupes industriels. Le Groupe EDF est en effet sollicité par de grands noms de la sidérurgie, de la chimie, de l'agroalimentaire et du papier qui souhaitent avoir une consommation en gaz et électricité la plus adaptée possible à leurs besoins. Jocelyne Canetti les conseille et fait en sorte que le Groupe EDF réponde à leurs attentes. Après six années dans ce service, elle est promue directrice d'unité de production de transport, devenant la première femme à occuper ce poste. Elle découvre là un management plus opérationnel. Il est vrai qu'elle dirige une unité qui compte pas moins de mille personnes !
Une carrière dans l'industrie
La fin des années 90 est marquée par l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité et du gaz. Jocelyne Canetti s'attelle à la transition, conseillant grands clients, entreprises et collectivités territoriales. Pour ce faire, elle prend la direction de la Division Entreprises. « Le Groupe EDF est devenu dans le même temps un fournisseur global », explique-elle. « Des filiales se sont créées partout en Europe : en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Pologne,... ». Elle organise la réponse aux premiers Appels d’Offre Européens, puis participe activement à la création de la filiale EDF Optimal Solutions, qu'elle préside. Ses champs d'actions sont multiples : concernée par l'environnement, elle met en place les premières offres vertes et aide les grands clients à mieux maîtriser leurs consommations d'énergie. Par souci de parité, elle crée également le premier réseau de femmes du Groupe EDF, Interp'elles.
Médiateur du Groupe EDF
En 2009, elle devient médiateur du Groupe EDF. Un poste unique, celui d’ultime recours auprès du Président pour les clients, les utilisateurs du réseau, pour les partenaires et les prestataires du Groupe EDF qui s'estiment lésés. Écoute contradictoire et impartialité sont les mots d'ordre de la médiation. « Nous cherchons à comprendre ce qui a été vécu par le client ou le fournisseur », explique Jocelyne Canetti. « Dans deux cas sur trois environ, nous lui rendons un avis favorable. Notre objectif est de repérer l'origine et la cause des saisines, pour que le Groupe EDF s'améliore et que les clients soient toujours satisfaits. C'est une posture extrêmement intéressante pour résoudre les conflits que celle du médiateur », commente-t-elle.
"La force du mathématicien, c'est justement de savoirfaire des ponts."
Des mathématiques, elle concède qu'elle n'en fait plus guère désormais. « Cependant, mon expérience dans la recherche a été extrêmement formatrice. J'y ai acquis une méthodologie redoutablement efficace, ainsi qu'une certaine humilité et une propension à prendre du recul. » Elle se félicite du recrutement de docteurs en mathématiques au sein du Groupe EDF : « Nous avons besoin de gens de haut niveau, capables d'établir des liens entre des domaines parfois très éloignés. Or la force du mathématicien, c'est justement de savoir faire des ponts. »
Quand les mathématiques deviennent un jeu
Rayman, Splinter Cell, Watch Dogs, Prince of Persia, Assassin's Creed... Derrière ces noms de jeux vidéo célèbres dans le monde entier, se cache la même entreprise : Ubisoft, une société française devenue depuis sa création en 1986 le troisième développeur mondial de jeux vidéo. Une réussite à laquelle contribue, entre autres, des mathématiciens. Xavier Spinat, docteur en mathématiques et directeur de production à Ubisoft, est de ceux-là. Portrait.
Rayman, Splinter Cell, Watch Dogs, Prince of Persia, Assassin's Creed... Derrière ces noms de jeux vidéo célèbres dans le monde entier, se cache la même entreprise : Ubisoft, une société française devenue depuis sa création en 1986 le troisième développeur mondial de jeux vidéo. Une réussite à laquelle contribue, entre autres, des mathématiciens. Xavier Spinat, docteur en mathématiques et directeur de production à Ubisoft, est de ceux-là. Portrait.
Une passion pour la théorie des jeux
À l'origine, Xavier Spinat se destinait à la recherche. Passionné de mathématiques, il intègre l'Ecole polytechnique et s'oriente d'abord vers la finance. « Ce qui m'intéressait, c'étaient les modèles », se souvient-il. Son mémoire de DEA porte sur la téléphonie sans fil, et il a justement recours à la modélisation pour traiter de la pérennité des réseaux ou du comportement des utilisateurs. C'est là qu'il découvre, fasciné, la théorie des jeux, dans laquelle il envisage dès lors de faire une thèse : « C'est un domaine très ouvert. Sur l'international d'abord – j'ai pu participer à des séminaires aux Etats-Unis – mais aussi sur d'autres disciplines. Les outils mathématiques que j'ai développés dans ma thèse étaient utilisés en sciences humaines, par exemple. » Il raconte notamment certaines expériences qui consistent à mettre en place « pour de vrai » certains cas d'école : « Un cas bien connu, appelé le jeu de l'ultimatum, consiste à confier à un participant une certaine somme d'argent. Un second participant réclame alors une partie quelconque de cette somme : le tiers, la moitié, pourquoi pas les 99%... Au premier participant de décider si oui ou non il accepte de céder cette partie. Sachant que s'il refuse, les organisateurs reprennent la somme initiale et les deux participants repartent bredouilles. Ce qui est intéressant, c'est que l'on constate qu'il existe un certain pourcentage de la somme initiale au delà duquel le premier participant préfère tout perde plutôt que d'accepter un partage inégal. Et il était assez amusant de constater que ce seuil variait d'un pays à l'autre ! » Il soutient sa thèse en 2000, et décide de se tourner vers le secteur privé : « La recherche était un univers trop procédurier pour moi. » Une bifurcation rendue d'autant plus aisée que Xavier Spinat a longtemps travaillé en tant qu'amateur à Multisim, une société spécialisée dans la création et la traduction de jeux vidéo.
De Multisim à Ubisoft
C'est cette société qui le recrute à l'issue de sa thèse. Il s'investit dans la conception de jeux vidéo, puis se met brièvement à son compte avant d'entrer à Filao en tant que directeur créatif et responsable du game design. Puis, en 2007, il rejoint Ubisoft, où il accède rapidement au titre de directeur de production. Il gère actuellement le développement des jeux sur mobiles (Iphone, Ipad, Android,...). Un travail à forte saveur mathématique. « Dans un jeu vidéo, tout est programmé selon des modèles bien définis. De la conception des règles du jeu au système de scoring, en passant par le comportement donné à l'adversaire, le réglage des niveaux de difficulté ou encore l'écriture du scénario, des mathématiques interviennent. » Par exemple, pour ce qui est de la théorie des jeux, il cite l'exemple des jeux répétés : « Si quelqu'un effectue la même interaction un nombre n de fois, il développe une meilleure stratégie. Notre but est de tester par ordinateur ce qui se passe quand n tend vers l'infini, pour trouver des convergences. » Les outils à l’œuvre ? « Des courbes continues, des équations différentielles. »
« L'industrie du jeu vidéo est un formidable secteur pour allier créativité et savoir-faire technique ! »
Xavier Spinat doit beaucoup à son doctorat. « En thèse, j'ai appris à travailler en autonomie, mais aussi en équipe. J'ai perdu mon côté un peu trop scolaire pour gagner en responsabilité. » Il poursuit : « Le doctorat, c'est aussi l'acquisition de réflexes. Réflexe bibliographique face à un sujet inconnu, capacité à aborder de manière logique des problèmes de tout type, grande familiarité avec l'anglais, rigueur et sérieux en toute circonstance. Les bénéfices secondaires que je tire de ma thèse sont nombreux. Quelque part, le doctorat m'a formé en tant qu'individu. » Et il conclut : « Surtout, que les diplômés en mathématiques n'hésitent pas à jeter un coup d'oeil du côté de l'industrie du jeu vidéo, en plein essor. C'est un formidable secteur pour allier créativité et savoir-faire technique ! »
Des atomes crochus avec les mathématiques
Entre secteur public et secteur privé, Annalisa Ambroso a longtemps hésité. Pour celle qui est aujourd'hui manager R&D et conseillère technique chez Areva, le choix n'avait rien d'une évidence. Titulaire d'un doctorat en mathématiques, elle voulait être sûre de voir son expertise technique reconnue dans l'industrie. C'est chose faite à Areva, où elle a été nommée Mathematics Senior Expert, un titre qu'elle cumule avec ses fonctions actuelles.
Entre secteur public et secteur privé, Annalisa Ambroso a longtemps hésité. Pour celle qui est aujourd'hui manager R&D et conseillère technique chez Areva, le choix n'avait rien d'une évidence. Titulaire d'un doctorat en mathématiques, elle voulait être sûre de voir son expertise technique reconnue dans l'industrie. C'est chose faite à Areva, où elle a été nommée Mathematics Senior Expert, un titre qu'elle cumule avec ses fonctions actuelles.
Des études d'ingénieur
Annalisa Ambroso suit d'abord des études d'ingénieur en Italie, avant de partir six mois en stage à l'Ecole polytechnique. C'est au sein de la prestigieuse école française, au cœur du laboratoire de mathématiques appliquées, qu'elle se passionne pour cette discipline et découvre le monde de la recherche. Après un DEA en mathématiques appliquées, elle accepte dans la foulée une proposition de thèse. Elle décide qu'à son diplôme d'ingénieur, viendra s'ajouter celui de docteur.
L'expérience de la recherche
Ses travaux de recherche se situent entre les mathématiques appliquées et la physique des plasmas. Des noms de mathématiciens illustres parsèment sa thèse : elle se penche en effet sur les systèmes d'équations de Euler-Poisson et de Vlasov-Poisson, pour modéliser des dispositifs à plasma. « Afin établir l'existence et l'unicité des solutions », explique-t-elle. Elle soutient sa thèse en 2000 à l'Ecole polytechnique. Son doctorat en poche, elle part effectuer un post-doctorat de deux ans au Courant Institute, à New York. « À ce moment-là, je m'imaginais tout à fait rester dans le monde universitaire. » Son intérêt pour l'industrie, qu'elle avait laissé quelque temps de côté, reprend cependant peu à peu le dessus. « J'ai fait en quelque sorte un aller retour », résume-t-elle. « Je me suis projetée dans le monde industriel en Italie, puis dans celui de la recherche académique en France et à New York, avant de revenir à mon désir premier : travailler dans l'industrie nucléaire. »
Du CEA à AREVA
Son premier poste, Annalisa Ambroso l'obtient au Commissariat à l'Energie Atomique (CEA). Elle y postule et raconte avoir été très bien reçue : « Mon profil de docteur-ingénieur les intéressait beaucoup. » Elle est recrutée en tant qu'ingénieur-chercheur. Dans son travail, l'aspect recherche est mis en avant, ce qui lui permet de ne pas se sentir trop dépaysée : « Le poste que j'occupais offrait une continuité certaine avec ma formation en thèse. » Elle effectue en effet des modélisations et des simulations pour les écoulements d’eau et vapeur dans les réacteurs nucléaires. Parce que les problèmes sur lesquels elle se penche sont très techniques, elle décide de partir « chercher de l'aide auprès d'autres mathématiciens. » À son initiative, un groupe de travail entre chercheurs du CEA et chercheurs du Laboratoire Jacques-Louis Lions (LJLL) voit le jour. « Ce groupe existe toujours », précise-t-elle. « C'est même une structure du CNRS : le LRC Manon»
« Cette familiarité avec l'inconnu est une grande force pour l'innovation. »
Après six années au CEA, Annalisa Ambroso ressent l'envie de quitter cet univers très théorique pour se rapprocher des applications. « Je voulais savoir à quoi servaient tous les calculs que j'effectuais alors. » Elle prend la décision de s'immerger encore plus dans l'industrie nucléaire, et entre à Areva, à la Direction de la Recherche et Innovation : « Je m'impliquais dans des projets qui n'étaient pas nécessairement liés aux mathématiques », constate-elle. Et de fait, elle gère divers projets innovants et joue un rôle de « trait d'union » entre des ingénieurs de l'industrie et des chercheurs du service public. « Avec les ingénieurs, j'identifiais les projets qui pouvaient être mieux traités grâce aux mathématiques. Avec les chercheurs, j'essayais de décliner des résultats souvent très théoriques en outils pour l'industrie. » En 2013, elle est promue manager R&D dans le domaine du génie civil, des installations générales et de la tuyauterie. « Une grande partie des sujets R&D que je gère concerne la modélisation et les tests sur ordinateur. Par exemple, nous faisons des tests de résistance sismique, ou encore nous cherchons à évaluer l'évolution de fissures sur un matériau donné. » Les outils mathématiques relèvent de l'analyse numérique : la modélisation et la simulation étant au cœur de cette activité. « En ce moment, je travaille sur la ventilation : comment modéliser les bruits générés par des fluides dans des conduites. » Au quotidien, elle tire toujours profit de son doctorat, et notamment de la capacité qu'elle a acquise à affronter de manière structurée et rigoureuse des problèmes inconnus : « Cette familiarité avec l'inconnu est une grande force pour l'innovation. »
Mathématiques en roue libre
C'est au cours de ses études à l'Ecole des Ponts que Patrice Hauret se passionne pour les mathématiques appliquées, au point d'entreprendre une thèse dans ce domaine. Docteur en mathématiques, il est aujourd'hui Responsable de l'équipe de simulation numérique au Centre de Technologies Michelin.
La simulation numérique au service de l'industrie
Nicole Poussineau travaille dans l'équipe "Modélisation des procédés Industriels" de Saint-Gobain, le leader mondial de l'habitat. Elle a suivi un cursus mixte, entre école d'ingénieur et université, et les mathématiques tiennent une place centrale dans son parcours. Titulaire d'un doctorat, elle se penche aujourd'hui sur des problèmes de simulation numérique et de résolution d'équations.
Nicole Poussineau travaille dans l'équipe "Modélisation des procédés Industriels" de Saint-Gobain, le leader mondial de l'habitat. Elle a suivi un cursus mixte, entre école d'ingénieur et université, et les mathématiques tiennent une place centrale dans son parcours. Titulaire d'un doctorat, elle se penche aujourd'hui sur des problèmes de simulation numérique et de résolution d'équations.
« Avoir un doctorat en mathématiques numériques était un plus. »
Alors qu'elle est élève à l'ENSTA, une école d'ingénieur généraliste, Nicole Poussineau est remarquée par le Laboratoire Jacques-Louis Lions, qui lui propose un sujet et un financement de thèse académique à l'issue de sa dernière année d'école. Elle accepte et commence sa formation doctorale. Son thème de recherche est l'interaction fluides-structures. Elle se penche notamment sur les problèmes d'écoulement sanguin et travaille en lien avec des médecins de l'hôpital Necker. « Ma thèse contenait une partie théorique, mais aussi beaucoup d'applications concrètes », se souvient-elle. Son doctorat en poche, elle commence à travailler à Sagem. Sa thèse a joué un rôle important dans son recrutement : « Avoir un doctorat en mathématiques numériques était un plus. » Son travail est très axé sur l'informatique, la programmation et l'écriture d'algorithmes : « C'était très précis et très rigoureux. » Mais rapidement, elle souhaite découvrir une autre entreprise, moins spécialisée dans l'informatique. Elle postule alors à Saint-Gobain : « Les compétences requises relevaient de la modélisation et de la simulation numériques, ce qui cadrait tout à fait avec ma formation. » Sa candidature est retenue.
L'experte en analyse numérique
Désormais, Nicole Poussineau travaille à l'amélioration des usines du groupe industriel. Elle résout les problèmes qui peuvent y survenir et, pour ce faire, recourt à la simulation numérique. « Dans mon équipe, nous modélisons l'écoulement du verre dans les machines, l'étalement du plâtre sur les tapis ou encore le passage du silicone dans les extrudeuses. Nous devons envisager tous les aspects de la production. Au final, ce sont les machines et le rendement qui s'en trouvent améliorés. » Et les mathématiques dans tout ça ? « Le plus important, c'est d'abord de comprendre le problème posé. Souvent, cette étape relève plus de la physique, en particulier de la mécanique, que des mathématiques. Le problème cerné, j'effectue des simulations numériques, je les interprète et je propose alors des solutions. J'ai besoin des mathématiques pour réaliser les simulations numériques, mais aussi pour comprendre les logiciels employés », explique-t-elle. Elle précise : « Les mathématiques que j'utilise aujourd'hui étaient déjà au cœur de ma thèse. Les applications sont différentes bien sûr, mais il s'agit bien du même fond : résolution d'équations, simulation numérique,... En d'autres termes, mon domaine d'expertise est l'analyse numérique. » Ses compétences sont prisées au sein de son équipe : « Il n'est pas rare qu'un collègue vienne me demander de l'aide quand il est confronté à un problème de maillage, de convergence ou de schéma numérique », explique-t-elle, avant d'ajouter : « Avoir des mathématiciens dans l'équipe, c'est avancer plus vite. »
« L'université et le monde de l'entreprise gagnent à mieux se connaître. »
Comme d'autres groupes industriels, Saint-Gobain entretient des liens privilégiés avec le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche, par le biais des chaires en entreprise notamment. Et les chercheurs de l'industrie collaborent avec ceux de l'université au sein du laboratoire mixte CNRS/Saint-Gobain. Nicole Poussineau revient sur sa propre expérience de la recherche : « C'est en doctorat que j'ai acquis des méthodes de travail qui me servent encore aujourd'hui. J'ai appris à gérer un projet toute seule, et j'ai gagné en responsabilité. C'était un plus par rapport à ma formation d'ingénieur : en école, vous êtes au contraire très encadré. » Elle poursuit : «Quand vous êtes doctorant, vous rencontrez beaucoup de gens très compétents, avec qui vous échangez sur vos travaux. Autrement dit, vous apprenez à interagir avec une équipe, ce qui est très utile quand vous arrivez ensuite en entreprise. » Elle conclut : « L'université et le monde de l'entreprise gagnent à mieux se connaître. »
Un train d'avance
Il y a longtemps que Barbara Dalibard a quitté les bancs de l'ENS, où elle étudiait la théorie des nombres. Agrégée de mathématiques, elle est aujourd'hui Directrice Générale de la Branche SNCF Voyages. Retour sur le parcours d'une normalienne en entreprise.
Il y a longtemps que Barbara Dalibard a quitté les bancs de l'ENS, où elle étudiait la théorie des nombres. Agrégée de mathématiques, elle est aujourd'hui Directrice Générale de la Branche SNCF Voyages. Retour sur le parcours d'une normalienne en entreprise.
Des projets innovants
Barbara Dalibard intègre l'ENS après un passage au lycée Louis-le-Grand, où elle compte parmi ses colleurs pas moins de deux médaillés Fields, Pierre-Louis Lions et Jean-Christophe Yoccoz. « Ils laissaient une grande place à l'intuition, plus qu'aux connaissances elles-mêmes. J'en garde un souvenir assez magique », glisse-t-elle. À l'ENS, elle choisit de se spécialiser en théorie des nombres. Elle assiste à un congrès international dans cette discipline, chose plutôt rare à l'époque. Un moment déterminant pour la suite de son parcours : « Je me suis rendue compte que le mode de travail des mathématiciens ne me convenait pas. J'étais plus dans l'action, j'avais envie d'aller vers les autres, d'être dans le concret. » Elle prend acte de cet écart entre la façon de fonctionner des mathématiciens et la sienne : « J'ai passé l'agrégation, puis je suis entrée à l'Ecole nationale supérieure des télécommunications avec l'envie d'être rapidement sur le terrain, dans la vie opérationnelle. » Elle est diplômée en 1982 et entre alors à France Télécom, où elle travaille sur la mise en place des réseaux de fibres optiques. D'abord sur un poste de management technique, elle évolue vers le commercial. « Je m'occupais principalement du développement de nouvelles offres pour les entreprises », explique-t-elle. Ses principaux faits d'armes ? « La mise en place des premiers réseaux internet, qui servaient alors à connecter les centres de recherche universitaires français. Et, quelques années après, la mise en place des premiers réseaux wifi, pour Air France et Accor. » Des projets innovants qui la passionnent.
« J'ai fait l'essentiel de ma carrière à France Télécom sur les réseaux d'entreprises. »
Entre 1998 et 2001, elle exerce divers postes de direction au sein du groupe Alcatel, avant de retourner à France Télécom, en tant que directrice du marché entreprises d’Orange France. « J'ai fait l'essentiel de ma carrière sur les réseaux d'entreprises », commente-elle. De fait, elle enchaîne les postes de direction dans ce domaine et en juin 2006, elle commence à diriger le développement et le marketing des services de communication d'Orange Business Services. Sous cette marque nouvellement créée sont regroupées toutes les activités à destination des entreprises de toute taille. Barbara Dalibard gère des équipes dans 220 pays et territoires, ce qui représente 20 000 salariés et un chiffre d’affaires de 7,7 milliards d’euros.
Directrice Générale de la Branche SNCF Voyages
C'est en janvier 2010 qu'elle rejoint SNCF, en tant que Directrice Générale de la Branche SNCF Voyages, son poste actuel. Elle est également membre du Comité de Direction Générale et Présidente de voyages-sncf.com. Un secteur nouveau pour elle, qui cherche à appréhender du mieux possible le fonctionnement des réseaux ferroviaires : « Ce qui m'a beaucoup aidée, c'est qu'il existe un parallèle certain avec les réseaux des télécommunications. Je n'étais pas dépaysée ! » Ses activités touchent, entre autres, TGV, Eurostar et Thalys. « Mon but est de m'assurer que les trains soient à l'heure, confortables, et les trajets agréables », explique-t-elle. De ce fait, elle pilote la vente, la distribution et le service commercial à bord des trains. Une mission qui lui tient à cœur : « Ne serait-ce que d'un point de vue écologique, il me paraît primordial de faire venir le plus grand nombre de gens vers les transports en commun. » Elle innove d'ailleurs en ce sens, avec le lancement des trains OUIGO, qui allient grande vitesse et prix réduits. « Nous avons pu attirer de nouveaux clients », précise-t-elle.
Les mathématiques, entre raisonnement et intuition
Par ailleurs, Barbara Dalibard a toujours encouragé les entreprises à solliciter des mathématiciens : « Bien souvent, les mathématiques peuvent venir à la rescousse. Par exemple, les outils d'aide à la décision et l'optimisation de flux permettent de prévenir les retards sur un réseau. » D'un point de vue personnel, elle tient à souligner l'importance que tient encore sa formation en mathématiques : « Si je devais résumer en deux mots, je dirais : raisonnement et intuition. Quelque part, je suis convaincue que des mathématiques peuvent intervenir dans des prises de décisions managériales. » Elle encourage vivement les jeunes femmes à se tourner vers les carrières scientifiques et les postes à responsabilité : « Je crois très fort à l'exemplarité. Si une autre l'a fait, alors je peux le faire aussi ! »
C'est au cours de ses études à l'Ecole des Ponts que Patrice Hauret se passionne pour les mathématiques appliquées, au point d'entreprendre une thèse dans ce domaine. Docteur en mathématiques, il est aujourd'hui Responsable de l'équipe de simulation numérique au Centre de Technologies Michelin.
De l'Ecole des Ponts au Caltech
Concilier recherche et industrie constitue en quelque sorte le fil directeur de son parcours. Sa première immersion dans le monde professionnel remonte à son année de césure, alors qu'il étudiait à l'Ecole des Ponts. Employé à Dassault Systèmes, il se penchait déjà sur des problèmes de simulation numérique. « Une expérience extrêmement enrichissante sur le plan du travail en équipes », se souvient-il. Conforté dans son intérêt pour les mathématiques appliquées, il décide de poursuivre en analyse numérique à l'Université Paris 6. Son DEA validé, c'est vers le Centre de Mathématiques Appliquées de l'Ecole polytechnique qu'il se tourne. Il obtient un financement pour une thèse CIFRE, et l'entreprise qui l'accueille n'est autre que Michelin. Selon Patrice Hauret, ses recherches répondent alors tant à des questions académiques qu'à des problèmes industriels : « Michelin m'a fait entièrement confiance dans la conduite de mon travail. Au final, la thèse que j'ai écrite tient autant d'une thèse académique que d'une thèse CIFRE. » Il parle volontiers de son thème de recherche : « Mon sujet portait sur le roulage de pneumatique. Plus précisément, je cherchais alors à améliorer certains outils et les méthodes utilisés par Michelin, à la frontière entre mécanique et mathématiques. Et je devais prendre en compte le caractère multi-échelle du problème : considérer le pneu dans son ensemble, mais aussi tous les détails qui le composent. » Il soutient sa thèse en 2004, et décide d'effectuer un post-doctorat. « J'avais besoin de recul », explique-t-il. « À ce moment-là, j'envisageais aussi bien une carrière académique qu'une carrière dans l'industrie. » Il choisit la Californie, et plus précisément le California Institute of Technology – le fameux Caltech. Dans ce prestigieux lieu de recherche, il côtoie notamment Michael Ortiz, et commence à construire un réseau scientifique sur lequel il s'appuie encore aujourd'hui.
Responsable d'équipe au Centre de Technologies Michelin
De retour en France, Patrice Hauret se tourne résolument vers le monde industriel et entre comme responsable de projets au Centre de Technologies Michelin, où il effectue des simulations avancées de phénomènes sophistiqués. Rapidement, il évolue dans la hiérarchie. Désormais, sa mission est double : « Je coordonne d'abord la collaboration entre mon entreprise et les laboratoires académiques, dans le domaine du calcul scientifique. En effet, Michelin développe en interne ses propres modélisations physiques et codes de calcul. Ce maintien de l'expertise par l'entreprise exige une veille technologique et une collaboration constante avec le milieu académique. D'où ce besoin d'être connecté avec des professeurs d'université, tant en France qu'à l’international. » Selon lui, ces collaborations sont fructueuses car elles permettent de mutualiser l'effort de recherche. De plus, les professeurs d'université apprennent à connaître l'entreprise et n'hésitent pas à y envoyer leurs élèves ou à faire la promotion de thèses en partenariat : « Ce lien avec les universités est très utile pour le recrutement. » Patrice Hauret dirige également une équipe spécialisée en mécanique des solides, en mathématiques appliquées et en informatique, qui travaille sur la conception et la mise en œuvre d'outils de simulation : « L'enjeu est de trouver le meilleur compromis possible entre l'usure, l'adhérence, la résistance au roulement et le bruit. Nous écrivons des modèles en partenariat avec des physiciens, et mettons au point des méthodes de résolution en recourant à l'analyse numérique. Nous mettons ensuite à disposition ces méthodes au sein de codes de calcul, utilisés pour concevoir les pneus. La dernière étape consiste alors en une confrontation avec la réalité. » Un processus très technique, qui exige des compétences fortes et multidisciplinaires. Diplômés d'école d'ingénieurs et d'université s'y côtoient avec bénéfice ; la moitié est titulaire d'un doctorat.
« Le doctorat est des plus formateurs »
Que son équipe compte autant de docteurs n'est pas un hasard. Patrice Hauret évoque l'importance du réseau académique et du bagage scientifique constitués en thèse, avant de conclure : « Le doctorat est des plus formateurs. Les diplômés Bac+8 sont capables d'appliquer une même méthode à des problèmes issus de mondes en apparence très différents. Et à l'inverse, d'appliquer des méthodes très différentes à un même problème ! Leurs atouts : une puissance d'analyse, doublée d'une grande capacité d'abstraction. »
L'art d'optimiser les maillages
Quand il était étudiant en mathématiques appliquées, Jean-François Lagüe souhaitait déjà se tourner vers le monde de l'entreprise. Il est aujourd'hui cadre à Distene, une société spécialiste de l'optimisation de maillage, où il occupe le poste de responsable produits.
L'art d'optimiser les maillages
Effectuer le maillage d'un objet, c'est en faire la modélisation géométrique la plus simple possible pour pouvoir ensuite effectuer des calculs. Visuellement, cette modélisation consiste à réaliser un pavage : l'objet est divisé en éléments géométriques tous identiques. Le type de maillage dépend de l'élément choisi. Ce travail requiert un solide bagage mathématique, que Jean-François Lagüe a acquis au cours de sa thèse.
« Les liens sont fréquents avec les organismes de recherche. »
C'est à l'issue de sa dernière année de master à l'Université Paris 6 qu'il est remarqué par un de ses professeurs, et se voit proposer un sujet et un financement de thèse. Il décide de saisir cette opportunité. Plusieurs organismes, dont le Laboratoire Jacques-Louis Lions, financent son doctorat. « Ce type de financement n'était pas classique », explique-t-il, avant de noter : « La société Distene n'était pas impliquée au départ. Ce n'est qu'après ma première année de thèse que j'ai rencontré plusieurs de ses cadres, lors d'une conférence. Cette première rencontre a été suivi de bien d'autres, et avant même ma soutenance, on m'offrait un poste là-bas. » En effet, son sujet de recherche, l'optimisation de maillage en contrôlant une erreur d'interpolation, cadre tout à fait avec les activités de l'entreprise qui le sollicite. La décision n'est cependant pas évidente à prendre : Jean-François Lagüe a pris goût à la recherche et sa thèse soutenue, il envisage un post-doctorat. Il finit toutefois par choisir Distene, rassuré quant aux possibilités de création et d'innovation au sein de cette entreprise : « L'un des fondateurs est également titulaire d'une thèse de mathématiques, et les liens sont fréquents avec les organismes de recherche. »
A propos des maillages héxaédriques
Distene travaille en effet en collaboration avec l'INRIA, notamment en co-développant un code sur la génération automatique de maillages hexaédriques. Le maillage hexaédrique est l'un des types de maillages auxquels les mathématiciens ont principalement recours (un autre étant le maillage tétraédrique). Sous ces deux dénominations se cachent deux figures géométriques : l'une à quatre faces (tétraèdre) et l'autre à six faces (hexaèdre). L'objectif du code développé par Distene est donc de parvenir à fractionner de manière automatique un objet donné en hexaèdres. « La première partie de mon travail consiste à industrialiser ce code, qui est ensuite commercialisé par Distene au sein d'une suite logicielle dédiée au maillage. » Il poursuit : « Imaginez que vous soyez confronté à un problème en physique. Pour le résoudre, la première étape est de le modéliser, le plus souvent en termes d'équations aux dérivées partielles, qui sont ensuite rigoureusement étudiées. Il s'agit enfin d'effectuer une simulation numérique afin de pouvoir approcher numériquement la solution de l'équation, par exemple avec des méthodes de type éléments finis. Ces méthodes requièrent au préalable ce qu'on appelle le maillage de calcul, et c'est là que Distene intervient. Nous fournissons en effet des logiciels qui construisent de manière automatique un maillage de calcul d'un domaine donné (plan, surface ou volume). » Il précise : « Le physicien ou l'ingénieur qui étudie le problème n'a plus qu'à appuyer sur quelques touches de son ordinateur pour obtenir le maillage de l'objet étudié, et ensuite lancer la simulation. Pour vous représenter visuellement le maillage ainsi obtenu, imaginez-vous l'objeti recouvert de lignes très serrées qui forment un pavage. C'est notre logiciel qui réalise cette étape. » Il ajoute : « La seconde partie de mon travail consiste à développer de nouveaux algorithmes afin d'améliorer et d'étendre l'offre Distene sur la génération de maillage. » Les logiciels de Distene sont utilisés lors de la simulation de phénomènes physiques donc, notamment dans la résolution de problèmes en mécanique, en mécanique des fluides ou en électromagnétisme. Mais les domaines d'applications sont très variés. « Notre entreprise est aussi sollicitée par l'industrie pétrolière ou la défense », souligne Jean-François Lagüe.
« Ce processus d'innovation est particulièrement stimulant. »
Selon lui, le mathématicien a toute sa place à Distene : « Les personnes que nous recrutons ont une formation en mathématiques appliquées et non en informatique. En effet, nous sommes notamment confrontés à des problèmes de géométrie différentielle et d'optimisation. Un cursus en mathématiques est donc un plus. » Son doctorat lui a permis d'acquérir non seulement des connaissances mathématiques pointues, mais aussi des méthodes de travail et une certaine rigueur. « Surtout », rajoute-t-il, « c'est en thèse qu'on devient innovant. » Une démarche aujourd'hui au cœur de son métier : « Parce que nous innovons, nos clients innovent à leur tour. C'est en quelque sorte un cercle vertueux », explique-t-il, avant de conclure : « Ce processus d'innovation est particulièrement stimulant. »
Stéphane Mallat
Stéphane Mallat, Professeur à l’Ecole Polytechnique en Mathématiques appliquées, Analyse harmonique et Traitement de l’image. Ses recherches touchent à la théorie des ondelettes, à la géométrie, à la représentation de l’information. Il a également créé une start-up au début des années 2000...
La Fondation a accueilli en 2010 un nouveau président du Conseil Scientifique : Stéphane Mallat, Professeur à l’Ecole Polytechnique en Mathématiques appliquées, Analyse harmonique et Traitement de l’image. Ses recherches touchent à la théorie des ondelettes, à la géométrie, à la représentation de l’information. Il a également créé une start-up au début des années 2000.
Stéphane Mallat a l’amour des voyages. De 1986 à 1996, il séjourne aux Etats-Unis, où il passe son doctorat et devient professeur au Courant Institute. Il rentre ensuite en France où il enseigne à l’Ecole Polytechnique.
L'expérience industrielle
Influencé par son passage aux Etats-Unis, Stéphane Mallat s’embarque à partir de 2001 pour un voyage beaucoup plus atypique du point de vue de l’univers des enseignants-chercheurs en France, en participant à la création d’une start-up : Let It Wave, « une société de semi-conducteur pour le traitement d’images créée à partir de résultats mathématiques sur la construction de bases orthogonales géométriques», précise-t-il avant d’ajouter que « l’innovation technologique est un excellent point de départ à la création d’une start up. » Il dirigera l’entreprise pendant 6 ans. « J’y ai découvert le métier d’ingénieur, le marketing, l’art de la négociation...» En 2007, Let It Wave est revendue à une société américaine et Stéphane Mallat redevient enseignant-chercheur à plein temps.
Il relate cet aller-retour de la recherche à l’entreprise comme une expérience particulièrement enrichissante : « Le lien entre science et débouchés technologiques peut être très motivant. Cette expérience industrielle m’a emmené vers des applications beaucoup plus concrètes, qui ont soulevé des problèmes de mathématiques que je n’ai pas résolus à cette époque et que j’étudie encore aujourd’hui. »
« Peu de gens font ce voyage, et quand c’est le cas, c’est souvent à sens unique (de la science vers l’entreprise, sans retour) », semble regretter Stéphane Mallat. Cette situation n’est cependant pas typiquement française, comme on le croit souvent : « Les choses sont très similaires en Angleterre, en Allemagne ou en Suisse. Le passage est en revanche plus perméable aux Etats-Unis ou en Israël. Mais ici on est de plus en plus conscient qu’il faut améliorer cela. » Et il ajoute : « Il faut surtout faciliter la perméabilité entre la recherche d’une part et les PME et les start-up d’autre part, car c’est de ces dernières que vient l’innovation technologique. »
Stéphane Mallat confie malgré tout que sa vocation demeure du côté de la recherche : « Ce métier d’enseignant-chercheur est fabuleux ! »
La théorie des ondelettes
Dès le début de sa carrière, Stéphane Mallat travaille sur la théorie des ondelettes (les ondelettes étant des fonctions particulières), dont il est considéré comme un des pionniers. Il s’intéresse alors à ses applications au traitement de l’image. Le thème de sa thèse est d’ailleurs Construction de bases orthogonales d’ondelettes et applications au traitement de l’image. Il se souvient : « La théorie des ondelettes est un domaine où nous n’étions que 4 ou 5 au départ, et puis qui a explosé dans les années 1990, avec des applications en physique, en chimie... »
Qu’est-ce que la théorie des ondelettes ? Pour répondre à cette question, Stéphane Mallat évoque une partition de musique. « Quand on écrit une partition, on écrit un son avec une note de musique. La question que l’on peut légitimement se poser est : Est-ce que n’importe quel son peut être écrit comme une somme de notes de musique ? Par exemple, est-ce le cas du bruit de camion que l’on entend dans la rue ? De la même manière, en théorie des ondelettes, on se demande si n’importe quelle fonction peut être décomposée en ondelettes. Ensuite, on se demande si cela est pertinent. On se pose la question de la représentation de l’information. »
Aujourd’hui, on retrouve les ondelettes dans la compression d’images (par exemple dans le standard JPEG 2000), dans la perception visuelle et auditive humaine, mais aussi en mécanique quantique. « Dès les années 1990, la théorie des ondelettes a été un domaine pluridisciplinaire, transversal », souligne Stéphane Mallat. « Elle illustre bien le fait que, même si chaque domaine (traitement du signal, physique, géophysique) développe ses propres outils de son côté, c’est grâce aux mathématiques que la communication entre ces différents domaines est possible. » Là encore, il s’agit de voyages entre des mondes a priori différents : « J’ai fait des allers-retours entre le traitement de l’image et les mathématiques, entre l’intuition mathématique et l’expérience. » Il ajoute : « D’une certaine manière, la start-up, c’était l’étape d’après. Ce triangle mathématiques-applications-industrie résume assez bien mon parcours. »
L'émergence de la géométrie
Après la théorie des ondelettes, Stéphane Mallat s’est penché sur des questions de géométrie et plus précisément sur la problématique d’émergence de la géométrie dans tout ce qui concerne la perception. « On peut rapprocher cela de l’émergence de la mélodie dans une partition de musique », propose-t-il, filant la métaphore. « On a la capacité de faire émerger des formes à partir de points ou d’éléments épars. Pourquoi ? Comment ? C’est un grand mystère, une grande question très ouverte. Cela montre que la perception est conditionnée par des processus de groupement (c’est la théorie de la gestalt), que cette capacité à grouper est très fondamentale dans la perception. Il faut trouver le bon cadre mathématique pour comprendre tout ça. »
Cette question touche évidemment aux neurosciences : « Le cortex visuel comporte une couche (la couche VI) dans laquelle on trouve des cellules appelées neurones simples qui calculent quelque chose proche d’une transformée en ondelettes. Il existe aussi des neurones complexes qui agrègent cette information et sont responsables de l’émergence de la géométrie. » Encore une fois, ce constat soulève les questions Pourquoi ?, Comment ?, mais aussi Quel genre de géométrie ?
« Toujours sur la perception, il y a aussi la question de l’invariance : on reconnait des objets quelle que soit la distance à laquelle ils sont situés », poursuit Stéphane Mallat « En musique aussi, il existe une perception de structures à diverses échelles. Pourquoi a-t-on cette perception invariante des choses ? » Ces problèmes font intervenir de nombreux domaines des mathématiques comme l’analyse harmonique, les statistiques, les problèmes d’invariants, la théorie des groupes...
Les problèmes inverses
Stéphane Mallat travaille enfin beaucoup sur ce qu’en mathématiques on appelle des problèmes inverses : « Par exemple, en géophysique, la structure d’un sous-sol détermine la manière dont une onde s’y propage. Inversement, si on envoie une onde dans ce sous-sol et que l’on récupère des mesures, on va pouvoir en déduire des informations sur les strates du sous-sol. » On cherche à résoudre des problèmes inverses dans des domaines très variés. « Enlever le flou sur des images est un aussi problème inverse », explique-t-il.
En guise de conclusion, Stéphane Mallat résume : « Tous mes travaux sont reliés par une même notion : celle de la représentation, et par la question Comment se construit cette représentation ? »
La Fondation vue par le président du Conseil Scientifique
Stéphane Mallat a accepté de présider le Conseil Scientifique de la Fondation, dont il apprécie tout particulièrement la qualité de « structure académique claire » regroupant les mathématiques parisiennes : « La difficulté des mathématiques, c’est la question de leur visibilité parce qu’elles sont très éclatées en plusieurs domaines, plusieurs institutions. La Fondation a le mérite de les considérer comme un tout. Ce regroupement est utile à plusieurs niveaux. Prenons par exemple le programme post-doctoral : les jeunes étrangers n’ont pas à connaître la complexité du système français. La Fondation leur offre une vitrine unifiée et simple des mathématiques sur Paris. C’est extrêmement important ! »
Un géomètre sur un nuage
Pendant dix ans, Jérôme Brun a mené des recherches en géométrie algébrique à l'Université de Nice. Aujourd’hui senior vice-président chez Atos, une des plus grandes entreprises de service informatique au niveau mondial, il est spécialisé dans l’informatique en nuage. Sa trajectoire professionnelle a pris un tournant inattendu, à une époque où peu de passerelles existaient entre monde académique et secteur privé.
Lorsqu’il étudiait les mathématiques à l’ENS, Jérôme Brun pensait se consacrer exclusivement à la recherche. Aujourd’hui senior vice-président chez Atos, une des plus grandes entreprises de service informatique au niveau mondial, il est en charge des services cloud, qui proposent des offres dans l’informatique dématérialisée, ou informatique en nuage. Sa trajectoire professionnelle a pris un tournant inattendu, à une époque où peu de passerelles existaient entre monde académique et secteur privé.
Géomètre à l'Université de Nice
Jérôme Brun se passionne tout d’abord pour la géométrie algébrique et soutient une thèse dans ce domaine. Il obtient par la suite un poste à l’Université de Nice, où il restera dix ans. « C’était une période extraordinaire. Jean Dieudonné [membre fondateur du groupe Bourbaki] avait initié un véritable projet », se souvient-il. Jérôme Brun est alors tout à sa carrière de chercheur : il participe à des colloques, écrit des articles, donne des cours magistraux. Il se penche notamment sur des problèmes de géométrie datant du XIXe siècle, qu’il résout grâce aux récentes avancées en géométrie algébrique : « J’appliquais de nouvelles méthodes à d’anciens problèmes. » Il s’attache à rester ouvert sur d’autres disciplines et enseigne notamment la logique. Cependant, la spécialisation accrue en mathématiques aboutit à l’émergence d’un grand nombre de « micro-spécialités » et pousse au contraire le mathématicien à s’investir toujours davantage dans un domaine précis : « Quand j’écrivais un article, seules cinquante personnes pouvaient le comprendre. Il s’agissait toujours des mêmes chercheurs, lancés dans une même compétition », résume-t-il. Il ressent alors l’envie de passer à autre chose.
La bifurcation
À l’époque, les entreprises recherchent des personnes qualifiées pour développer les nouvelles technologies liées au développement de l’intelligence artificielle. Jérôme Brun décide de répondre à l’appel. En détachement, il commence à travailler comme mathématicien chez GSI, dont une partie rejoindra Atos. Deux ans plus tard, il quitte définitivement le monde académique. Il a toujours en tête l’un des premiers problèmes sur lesquels il s’est penché, celui de la programmation des trains Gare de l’Est : « Quels trains affecter à quelles voies ? Derrière cette question en apparence simple, se cachent en réalité des problèmes algorithmiques très complexes. » Selon lui, le mathématicien apporte non seulement ses compétences techniques, mais aussi une nouvelle manière d’aborder les problèmes. « La valeur ajoutée du mathématicien dans l’entreprise, c’est sa culture mathématique. Il ne faut pas croire qu’un cursus en école d’ingénieur est nécessairement plus adéquat. Aux universitaires qui se tourneraient vers le privé, je dirais au contraire : soyez fiers de votre formation ! » Pour lui, le passage du monde académique à celui de l’entreprise se fait en douceur : collaborant fréquemment avec des groupes industriels tels qu’Air France et EDF, qui emploient des chercheurs dans leurs services Recherche&Développement, il garde ainsi un lien avec la pratique de la recherche.
L'informatique en nuage
Par la suite, il accède à des postes de direction et se tourne vers le management. Les fusions et acquisitions s’enchaînent et l’entreprise qui l’a initialement recruté change de taille : « Quand je suis arrivé, le groupe, essentiellement français, comptait 3000 employés. Aujourd’hui Atos emploie plus de 70000 personnes à travers le monde. Cela entraîne un rapport différent avec l’entreprise, mais tout aussi motivant. » Jérôme Brun explique s’être toujours formé à ses nouvelles responsabilités sans avoir eu besoin de suivre une formation particulière. « En revanche, aux Etats-Unis, des semaines de formation sont souvent nécessaires quand on change de poste ou d’entreprise. » Désormais spécialisé dans le cloud computing, ou informatique dématérialisée, qui permet d’utiliser des applications à distance, Jérôme Brun organise les offres cloud pour les clients et gère les équipes des différents pays où Atos est présent.
"Au sein de l'entreprise, le mathématicien reste l'expert"
S’il concède qu’il y a peu de mathématiciens à Atos, il s’est cependant toujours soucié d’entretenir des liens avec le monde universitaire, notamment grâce aux bourses CIFRE et aux chaires en entreprise. « L’idée derrière ces chaires est de pouvoir discuter avec les chercheurs, de faire entrer la culture scientifique en entreprise. Entendre l’avis d’un mathématicien est toujours très enrichissant. »
« Certaines compétences mathématiques spécifiques sont très recherchées. Pour moi, ça a été la logique, pour travailler sur l’intelligence artificielle. Mais divers domaines nécessitent des mathématiques : la finance, la prévision de vente, le Big Data,... » Et il ajoute : « Au-delà des compétences, c’est la solidité du raisonnement qui est prisée. Un mathématicien sait ce qu’est une démonstration, il est capable de décomposer un problème et son avis est souvent sollicité car on lui reconnaît une certaine culture de la preuve », avant de conclure : « Au sein de l’entreprise, le mathématicien reste l’expert. »
L'aventurier du Big Data
Il y a deux moments dans le parcours professionnel de David Bessis. Une première carrière de mathématicien, puis la création d'une start-up, tinyclues, qui marque les débuts d'une carrière d'entrepreneur. Il revient sur son parcours encore atypique.
Retrouvez l'interview vidéo de David Bessis, mathématicien et créateur de la startup tinyclues :
Partie 1 - Des mathématiques pures à l'entreprise
Partie 2 - Le Big Data
Partie 3 - L'entrepreneur
Partie 4 - La transition
Il y a deux moments dans le parcours professionnel de David Bessis. Une première carrière de mathématicien, puis la création d'une start-up, tinyclues, qui marque les débuts d'une carrière d'entrepreneur. Si ses travaux de chercheur sont très éloignés du domaine d'expertise de tinyclues, David Bessis revendique cependant une certaine continuité dans sa trajectoire : « Passer du monde académique au monde de l'entreprise est une transition rare mais naturelle. Le chercheur et l'entrepreneur partagent les mêmes qualités : la créativité, le courage et la persévérance. »
Le chercheur
Son itinéraire est cependant encore atypique. Après avoir soutenu sa thèse, résolument axée sur les mathématiques fondamentales, il part effectuer un postdoctorat aux États-Unis. À son retour, il entre au CNRS et y occupe un poste de chercheur pendant 7 ans : « Mes centres d'intérêt portaient sur des mathématiques très abstraites, j'avais pour outils de travail un crayon et du papier », se souvient-il. Ses recherches touchent à l'algèbre et à la géométrie. Il s'attaque notamment à une conjecture des années 70, portant sur « la forme d'un espace dont on a enlevé un certain nombre d'hyperplans ». La démonstration le passionne. L'article soumis et son habilitation obtenue, il a cependant l'impression de clore un chapitre : « Je voulais trouver un autre chantier auquel m'atteler. »
Le Consultant
Son parcours prend alors une nouvelle tournure. Il se met en disponibilité hors du CNRS et se lance dans le conseil en entreprise. Plus précisément, c'est au sein d'une agence de marketing digital qu'il officie. Il se familiarise avec les technologies utilisées et contribue à leur développement. Les mathématiques à l’œuvre sont pourtant nouvelles pour lui : « J'ai découvert ce qu'était une probabilité », s'amuse-t-il, avant d'ajouter : « En entreprise, les savoirs s'acquièrent très rapidement. D'autant plus rapidement pour un mathématicien, curieux de nature et qui tire là le bénéfice de sa formation. »
L'aventure tinyclues
Après un an dans cette première entreprise, il ressent l'envie de fonder sa propre start-up. Une démarche là encore naturelle à ses yeux : « La création est inhérente à l'activité du chercheur. » En 2010, il crée donc avec un associé tinyclues, spécialisée dans le Big Data, c'est-à-dire dans l'extraction et l'analyse d'un très grand nombre de données. Pendant plusieurs mois, il établit les prototypes des logiciels de data mining nécessaires au fonctionnement de la start-up. Tout s'accélère alors : en avril 2011 les premiers salariés arrivent et les premiers contrats se font. En particulier, tinyclues est sollicitée par des sites marchands. L'enjeu est alors de pouvoir définir le plus précisément possible le profil des consommateurs, qui serait ensuite utilisé à des fins marketing. David Bessis revient sur les débuts de son entreprise : « C'est un peu comme si vous deviez traverser l'Atlantique sur un bateau que vous êtes en train de construire. Il y a quelque chose qui relève de l'aventure, et qui est particulièrement stimulant. » C'est cette mise en danger qui lui manquait dans son travail de chercheur.
« La vraie valeur ajoutée d'un mathématicien, c'est la créativité »
Aujourd'hui, tinyclues emploie 10 personnes. Des développeurs de logiciels, mais aussi des spécialistes du data mining. Les mathématiciens y ont toute leur place. L'équipe compte par exemple un doctorant en mathématiques, qui, quand il ne travaille pas sur sa thèse, se penche sur les algorithmes à l’œuvre derrière les logiciels, mais aussi un jeune stagiaire, étudiant à l'ENS. « La vraie valeur ajoutée d'un mathématicien, c'est la créativité », insiste David Bessis.
« Les possibilités sont immenses. »
Selon lui, cette transition vers le monde de l'entreprise devrait être plus encouragée : « Il faudrait qu'il existe plus de passerelles entre le monde académique et le secteur privé. Une expérience en entreprise, notamment dans une start-up, devrait être un élément naturel dans la carrière d'un mathématicien. » Car plus que les connaissances purement académiques, c'est la manière qu'à le chercheur de considérer les problèmes à résoudre qui lui permet de s'adapter et de réussir, explique-t-il. « Un mathématicien possède tous les outils pour réussir en entreprise, habitué qu'il est à porter et développer une idée sur le long terme. À condition toutefois de ne pas considérer une carrière dans le privé comme un choix par défaut », nuance-t-il : « Un recruteur souhaite que le mathématicien qui postule ait envie de venir travailler avec eux. » Et il ajoute : « À ceux qui auraient encore des doutes, je n'ai qu'un conseil à donner : lancez-vous dans l'aventure, il y a beaucoup de postes dans le privé pour les gens brillants ! » Pour conclure, il n'hésite pas à comparer le mathématicien découvrant le monde de l'entreprise à un aventurier lancé sur un terrain nouveau, tout à la liberté de créer et d'innover : « Les possibilités sont immenses. »
Des mathématiques pour nettoyer l'espace
Depuis plus d'un demi-siècle, nous envoyons des satellites dans l'espace. Le problème est qu'une fois devenus hors d'usage, ils y restent et s'y désagrègent. La pollution spatiale formée par ces dizaines de milliers de débris satellitaires intéresse de près Max Cerf, docteur en mathématiques en poste à EADS Astrium.
Depuis plus d'un demi-siècle, nous envoyons des satellites dans l'espace. Le problème est qu'une fois devenus hors d'usage, ils y restent et s'y désagrègent. La pollution spatiale formée par ces dizaines de milliers de débris satellitaires intéresse de près Max Cerf, docteur en mathématiques en poste à EADS Astrium.
Docteur et ingénieur dans l'aérospatiale
Diplômé de Centrale Paris en 1989, Max Cerf travaille dans l'aérospatiale à EADS. En 2008, il décide de reprendre ses études, tout en continuant d'exercer son métier. Il valide alors le master d'astronomie de l'Observatoire de Paris. L'année d'après, toujours en poste à EADS, il se lance dans une thèse de mathématiques appliquées. S'il se tourne vers la recherche, c'est donc en lien avec son travail dans le groupe industriel, où il est aux prises avec des problèmes d'optimisation de trajectoires particulièrement ardus. « J'ai été amené à réfléchir par moi-même sur ces problèmes, en dehors du cadre strictement professionnel. Je souhaitais en effet valoriser les résultats très théoriques que j'avais trouvés, les présenter dans un cadre académique. L'idée derrière était également de pouvoir améliorer les méthodes et les logiciels que nous utilisions alors à EADS. » Ce travail de fond débouche en 2012 sur sa soutenance de thèse. Le voici désormais docteur en mathématiques.
Débris spatiaux : gare à la collision
Son sujet de thèse et ses missions à EADS se rejoignent. Il se penche en effet quotidiennement sur les trajectoires spatiales : « L'objectif est de déterminer la trajectoire qui amène le satellite sur son orbite tout en le faisant consommer le moins de carburant possible. C'est en effet très important que la fusée, qui lance les satellites, soit la plus légère possible au décollage. » Un problème qui relève de la mécanique, mais aussi des mathématiques. « Une fusée est commandée par un calculateur qui définit comment orienter la poussée. Pour faire fonctionner ce calculateur, nous avons recours aux mathématiques, à l'optimisation et à la commande optimale notamment », explique-t-il. Une fois la fusée dans l'espace, se pose toutefois une autre question : comment éviter tout impact avec des débris spatiaux ? « C'est un problème tout à fait réel. Imaginez un petit débris satellitaire, par exemple un boulon ou une vis, perdu dans l'espace. Le danger est qu'il se déplace à une vitesse impressionnante, environ sept kilomètres par seconde... Si ce débris croise la trajectoire d'une fusée, celle-ci est inévitablement endommagée ! » Une de ses missions consiste donc à repérer et à suivre ces débris spatiaux afin de prévoir tout risque de collision. « Jusque là, c'était surtout les Etats-Unis qui assuraient cette mission. Nous n'avons commencé à prendre en compte la pollution spatiale que récemment », précise-t-il. Comment faire reculer cette pollution de l'espace ? C'est justement un des problèmes auxquels sa thèse répond. « Une solution consiste à aller ramasser ces débris spatiaux. Plus précisément, il s'agit de construire un véhicule qui irait chercher les satellites usagés et les ferait retomber sur Terre. Mon objectif en thèse était de formuler le problème d'optimisation de trajectoires et de définir le véhicule en question. C'était un vrai travail de réflexion. D'innovation aussi, puisqu'il s'agissait de trouver de nouvelles méthodes. » En toute logique, il intitule sa thèse Optimisation de trajectoires spatiales. Vol d’un dernier étage de lanceur – Nettoyage des débris spatiaux. « Les résultats de mes recherches s'appliquent à d'autres projets. Prenez par exemple l'exploration de Mars : là aussi il est question de trajectoires spatiales. »
« Les meilleures méthodes qui existent à l'heure actuelle dans mon domaine, je les ai acquises en thèse. »
« Grâce à mon doctorat, je me suis familiarisé avec la culture de la recherche. J'ai beaucoup appris au contact d'autres chercheurs. Les meilleures méthodes qui existent à l'heure actuelle dans mon domaine, je les ai acquises en thèse. C'était donc un travail à long terme qui s'est révélé extrêmement enrichissant. » Il ajoute avoir gardé un très bon contact avec les chercheurs du Laboratoire Jacques-Louis Lions, devenus des interlocuteurs privilégiés. « Si les relations maths-industrie peuvent s'avérer parfois compliquées, c'est que les mathématiciens privilégient les "beaux" problèmes. Or les problèmes de l'industrie ne sont pas toujours très beaux ! », s'amuse-t-il. « En thèse, j'ai rencontré des mathématiciens très ouverts, prêts à m'encadrer sur un sujet très concret et qui par la suite ont continué à s'intéresser aux problèmes de trajectoires et de pollution spatiales. »
« Si je suis mieux armé aujourd'hui pour m'attaquer à la pollution spatiale, c'est bien grâce à mon doctorat ! »
« Cette thèse m'a beaucoup apporté, tant sur le plan personnel que professionnel », résume-t-il. « D'un côté, j'ai gagné en confiance et j'ai eu la satisfaction de voir mon travail reconnu académiquement. De l'autre, j'ai pu améliorer les méthodes en vigueur à EADS, j'ai développé des liens avec le Laboratoire Jacques-Louis Lions, et j'ai désormais une meilleure compréhension des mathématiques à l'œuvre dans mon travail. » Il conclut :« Si je suis mieux armé aujourd'hui pour m'attaquer à la pollution spatiale, c'est bien grâce à mon doctorat ! »
Tung-Lam Dao et la modélisation financière
Tung-Lam Dao est chercheur dans l’équipe Recherche&Développement de gestion quantitative de la société Capital Fund Management. Autrement dit, son domaine d’expertise porte sur les mathématiques financières. Pour autant, son cursus compte plus de physique que de mathématiques, et il est même titulaire d’un doctorat en physique théorique.
Tung-Lam Dao est chercheur dans l’équipe Recherche&Développement de gestion quantitative de la société Capital Fund Management. Autrement dit, son domaine d’expertise porte sur les mathématiques financières. Pour autant, son cursus compte plus de physique que de mathématiques, et il est même titulaire d’un doctorat en physique théorique. À ceux qui se poseraient la question de savoir comment ce diplôme s’articule avec son métier actuel, il explique : « Ce qu’on acquiert en doctorat va au-delà des simples connaissances. C’est un travail de recherche, à long terme, qui permet d’acquérir des compétences extrêmement utiles pour la suite. »
De la physique à la finance
Tout commence pour lui à l’Université nationale de Hanoi au Vietnam, où il suit un cursus d’excellence, permettant d’intégrer des grandes écoles françaises. Il entre à l’Ecole Polytechnique en 2001 et choisit la voie de la physique. En 2008, il soutient sa thèse, pour laquelle il obtient le Prix de la meilleure thèse en Physique de l’Ecole Polytechnique. Ses recherches portent sur l’étude des systèmes d’atomes froids. « Mon sujet de thèse se trouvait à la frontière entre la physique de la matière condensée et la physique quantique », se souvient-il. Les mathématiques ne sont pas loin : « J’ai eu recours aux mathématiques pour développer des calculs analytiques et numériques efficaces pour ensuite expliquer des phénomènes physiques. »
Après sa thèse, il signe un contrat post-doctoral et, en parallèle, se lance dans les mathématiques financières. Il confie : « J’aimais beaucoup les mathématiques appliquées, et j’ai toujours gardé l’esprit ouvert. J’avais envie d’avoir une formation en plus, et j’ai pensé à la finance. » Il rappelle : « En France, il est possible de suivre plusieurs formations sans s’endetter. Les frais d’études ne sont pas du tout les mêmes qu’aux Etats-Unis, par exemple. » Il intègre donc le master en Statistique, Probabilités et Finance de l’université Paris-Diderot : « En peu d’heures de cours, j’ai appris énormément. »
C'est dans le cadre des séminaires hebdomadaires du master de Paris-Diderot, une activité organisée par les responsables du master pour favoriser les liens entre les étudiants et les entreprises, que Tung-Lam Dao fait la connaissance de Thierry Roncalli, de Lyxor Asset Management : « C’est avec lui que j’ai effectué mon stage de fin de cursus. » Cette expérience le conforte dans l’idée de travailler dans la finance.
À l’issue de son stage, il reçoit le prix du meilleur mémoire de Master en Finance de la Fondation Natixis. « La qualité de mon mémoire n’aurait pas été la même si je n’avais pas fait de thèse. En doctorat, vous devenez très compétant. C’est la démarche intellectuelle que j’ai acquise qui m’a servi pour mon mémoire en finance. » Il regrette que son doctorat n’ait pas toujours été reconnu à sa juste valeur en entretien : « On retient souvent le fait que j’ai fait Polytechnique. Pourtant, ce n’est pas ma formation là-bas qui est déterminante à mes yeux, mais bien plutôt le master de mathématiques financières que j’ai suivi, ainsi que mon doctorat. » Heureusement, la société Capital Fund Management a eu une approche différente : « Le fait que j’aie soutenu une thèse comptait beaucoup à leurs yeux. » Son master et son contrat post-doctoral achevés, il est donc recruté là-bas.
« Le parallèle avec la physique est flagrant. À mes yeux, ces domaines ne sont pas si éloignés. »
Son travail actuel ne dépayse pas l’ancien thésard en physique : « La première étape consiste à analyser des données issues de produits financiers. On a recours aux méthodes statistiques et au calcul stochastique. Puis la seconde étape est d'établir, de tester et d'interpréter des stratégies de gestion de portefeuilles à l'aide de simulations et d'expériences numériques. » Il remarque : « Il y a dans cette démarche quelque chose de très similaire au travail du physicien. On commence avec des intuitions, que l'on va chercher à confirmer. Souvent, le problème n’est pas tout à fait solvable, et il faut alors le simplifier par des solutions approchées. Le parallèle avec la physique est flagrant. À mes yeux, ces domaines ne sont pas si éloignés. »
De l'industrie à la recherche académique
Le passage du monde industriel au monde universitaire est plutôt rare. C’est pourtant le parcours d’Isabelle Terrasse : responsable dans un centre de recherche industriel dans un premier temps, elle a été jusqu'en mai 2013 directrice d’un centre de recherche académique, celui d’Inria Bordeaux–Sud-Ouest. Elle est à présent retournée vers l'industrie.
Le passage du monde industriel au monde universitaire est plutôt rare. C’est pourtant le parcours d’Isabelle Terrasse : responsable dans un centre de recherche industriel dans un premier temps, elle a été jusqu'en mai 2013 directrice d’un centre de recherche académique, celui d’Inria Bordeaux–Sud-Ouest. Elle est à présent retournée vers l'industrie.
« J’ai en quelque sorte remonté le courant », s’amuse-t-elle. La trajectoire de cette docteure en mathématiques appliquées, par ailleurs Chevalier dans l’ordre national du Mérite et dans l’ordre des Palmes Académiques, est marquée par un souci constant de renforcer les liens entre l’industrie et l’université.
« Je souhaitais avoir un pied dans les deux milieux : le laboratoire et le monde de l’entreprise. »
Diplômée de Polytechnique, Isabelle Terrasse est très tôt attirée par le monde industriel et effectue son stage de fin de cursus à Astrium Space Transportation. Une révélation : « Ce stage était ancré dans le domaine de l’analyse numérique. Je me suis passionnée pour cette discipline. » Au point d’en faire sa spécialité. Elle commence alors une thèse CIFRE, intitulée Résolution mathématique et numérique des équations de Maxwell instationnaires par une méthode de potentiels retardés. « Mon travail comportait une partie très théorique, en électromagnétisme et analyse numérique, et une autre plus appliquée, en programmation », se souvient-elle. C’est le groupe industriel Thalès qui l’accueille alors : « Je souhaitais avoir un pied dans les deux milieux : le laboratoire et le monde de l’entreprise. » Ayant soutenu sa thèse en 1993, elle est recrutée dans la foulée et devient l’experte des équations intégrales dans un centre de production de Thalès, poste qu’elle occupera trois ans.
Mathématiques et Acoustique
En 1996, Isabelle Terrasse rejoint le service de mathématiques appliquées du Centre Commun de Recherche du groupe Aerospatiale, devenu depuis EADS : « Un des problèmes sur lesquels je travaillais était la réduction du bruit des avions. » Elle précise: « Mon travail consistait à mettre au point des méthodes numériques en électromagnétisme et en acoustique. J’avais déjà une solide expérience en électromagnétisme, je m’en suis donc servie pour développer l’acoustique. » En 2002, elle accède au grade de Research Team Leader, à la tête d’une équipe d’une trentaine de personnes. Une de ses missions consiste à étendre l’activité du centre de recherche à l’ensemble des mathématiques appliquées : modélisation, calcul haute performance, probabilités et statistique, optimisation et méthode inverse. Cinq ans plus tard, elle est nommée Executive Expert, un poste de direction qui lui permet de continuer à valoriser son expertise technique. En parallèle, elle rejoint en 2008, en tant que membre extérieur, la commission d’évaluation d’Inria, où elle participe à l’évaluation des chercheurs de l’Institut de recherche consacré au Sciences du Numérique.
« Le doctorat revêt une grande importance à mes yeux, il a facilité ma carrière dans l’industrie, où savoir se spécialiser est essentiel. »
L’année 2010 marque un tournant dans sa carrière. Elle quitte en effet EADS pour prendre la direction du centre de recherche académique Inria Bordeaux–Sud-Ouest. « C’était la première fois qu’un industriel accédait à ce poste », explique-t-elle. « Je souhaitais participer à l’évolution des échanges entre monde académique et industrie. Afin de mieux comprendre les problématiques de chacun, il est fondamental d’instaurer des dialogues, mais aussi des échanges de personnels entre ces deux mondes. » Celle qui avait été professeure à l’Institut Galilée (Paris 13) avant d’enseigner à l’Ecole Polytechnique sait qu’entre l’industrie et la recherche académique, les dynamiques peuvent être différentes : « D’un côté c’est la tenue des coûts et des délais qui prime, de l’autre l’excellence scientifique à long terme. » Elle nuance cependant : « Les centres de recherche de grands groupes industriels sont aussi dans le long terme. Mais c’est plus difficile pour une PME. À mon sens, le vrai enjeu est là : aller vers les PME car ce sont elles qui créent des emplois. » Le recrutement de mathématiciens en entreprise est à ses yeux un investissement à long terme : « Certes, les ingénieurs sont efficaces très rapidement. Mais un mathématicien a une vraie capacité d’adaptation, il peut étendre son domaine de compétence, voire même se reconvertir. » Elle préconise plus de passerelles entre les cursus ingénieurs et ceux en mathématiques : « J’ai eu une double formation de docteur et d’ingénieur, ce qui m’a permis d’acquérir des compétences multidisciplinaires et techniques très fortes. Le doctorat revêt une grande importance à mes yeux, il a facilité ma carrière dans l’industrie, où savoir se spécialiser est essentiel. » Depuis, elle a repris sa place au sein de son groupe industriel convaincue que les liens tissés perdureront pour le meilleur au sein de ce continuum entre recherche académique et création de valeur économique.
Des mathématiques au cœur de la finance
Il y a quelques années encore, Grégoire Loeper était maître de conférences dans une université lyonnaise. Il concentrait ses recherches sur l'analyse des équations aux dérivées partielles (EDP). Des mathématiques fondamentales donc, et une formation classique de mathématicien. Depuis, il a rejoint l'équipe de recherche quantitative de BNP Paribas et jongle désormais avec des problèmes de probabilités, de calcul stochastique et de statistique.
Il y a quelques années encore, Grégoire Loeper était maître de conférences dans une université lyonnaise. Il concentrait ses recherches sur l'analyse des équations aux dérivées partielles (EDP). Des mathématiques fondamentales donc, et une formation classique de mathématicien. Depuis, il a rejoint l'équipe de recherche quantitative de BNP Paribas et jongle désormais avec des problèmes de probabilités, de calcul stochastique et de statistique.
Des mathématiques fondamentales à la finance
Son parcours commence à l'ENS. Après un DEA en analyse, passionné de mathématiques, il décide de se lancer dans une thèse. « Sans toutefois envisager de me consacrer exclusivement à la recherche », précise-t-il. « Je me disais simplement que faire une thèse serait une expérience très positive, dont je ne pourrai que bénéficier. » Son sujet de recherche porte sur le transport optimal et l'équation de Monge-Ampère. Si les mathématiques à l'œuvre sont très abstraites, son travail a toutefois des applications en modélisation physique et en mécanique des fluides. Grégoire Loeper soutient sa thèse en 2003 à l'Université de Nice et, après des séjours à Toronto ou à Lausanne comme post-doctorant, devient maître de conférences. Il enseigne en licence et intègre l'Institut Camille Jordan. Cependant, il désire rapidement « connaître autre chose que la recherche. » Il se tourne alors vers la BNP Paribas, par le biais d'un contact, et passe un entretien.
« Ce qui caractérise le chercheur, c'est sa capacité à s'adapter. »
Postuler dans la finance, domaine qu'il ne connaissait guère, ne soulevait pas de difficultés à ses yeux : « Ce qui caractérise le chercheur, c'est sa capacité à s'adapter. » Il poursuit : « Ce qu'il me fallait savoir et que je ne connaissais pas encore, je l'ai appris sur le tas. Le fait d'avoir un doctorat s'est avéré précieux : grâce à ma thèse, j'avais acquis un bagage technique très solide. » Son travail est désormais tout entier axé sur les mathématiques financières : « BNP Paribas vend des produits structurés, c'est à dire des contrats portant sur des actions. La salle de marché doit être capable de couvrir les contrats vendus. C'est le calcul de cette couverture qui mobilise des connaissances mathématiques. » Le calcul en question est particulièrement sophistiqué : « Derrière, se cachent probabilités, calcul stochastique, EDP, statistique, informatique et calcul scientifique. » Selon Grégoire Loeper, qu'une banque recrute des diplômés Bac+8 n'est pas si exceptionnel : « Je ne suis pas le seul à avoir une thèse en mathématiques dans mon équipe. » Il explique : « Les mathématiques financières forment un domaine très technique. C'est pourquoi nous valorisons le doctorat au sein de l'équipe de recherche. C'est la preuve que vous êtes capable de poursuivre une démarche scientifique de manière autonome », poursuit-il, avant d'ajouter : « Avoir une idée et la mener à bout, c'est cela la recherche. Il faut de la rigueur, de la persévérance et le doctorat constitue là une formation très enrichissante pour la suite de votre parcours. »
« Les liens avec l'université sont fréquents. »
De ses débuts à la banque, Grégoire Loeper garde le sentiment d'une transition : « Je n'ai pas vécu mon entrée à la BNP Paribas comme une rupture, loin de là. J'avais exprimé le souhait de garder un pied dans la recherche. » En 2009, il devient d'ailleurs, pendant un an, professeur associé à l'Université Paris 6, où il enseigne probabilités et finance au niveau master. Une expérience à temps partiel qu'il cumule avec son travail à la BNP Paribas : « Les liens avec l'université sont fréquents. Nous exerçons en quelque sorte une veille technologique. »
Ce lien avec la pratique de la recherche, il le maintient aussi en publiant des articles scientifiques. « Au début, j'écrivais sur les travaux que j'avais en cours avant d'entrer à la BNP Paribas, puis j'ai commencé à rédiger des articles sur les méthodes numériques appliquées à la finance. » Parmi ses co-rédacteurs, se trouve entre autres Cédric Villani, Médaillé Fields 2010 !
A la lumière des statistiques
Vincent Lefieux est chef du pôle « Analyse et expertise statistique » à RTE (Réseau de transport d'électricité). Titulaire d'un doctorat, il enseigne également à l'ISUP et assure le suivi de thèses CIFRE dans son entreprise. Son parcours montre les passerelles pouvant exister entre le monde académique et le secteur privé.
Vincent Lefieux est chef du pôle « Analyse et expertise statistique » à RTE (Réseau de transport d'électricité). Titulaire d'un doctorat, il enseigne également à l'ISUP et assure le suivi de thèses CIFRE dans son entreprise. Son parcours montre les passerelles pouvant exister entre le monde académique et le secteur privé.
Les débuts à EDF
Diplômé de l'ENSAI, une école de statistique à Rennes, Vincent Lefieux valide dans la foulée un DEA de mathématiques fondamentales. Lui qui a toujours aimé les mathématiques envisage très sérieusement de se lancer dans une thèse. Il définit son sujet de recherche, mais à la faveur d'une offre de recrutement, il change ses plans et part travailler dans le service Recherche&Développement de EDF. Il se penche sur la prévision de la consommation d'électricité au sein du groupe industriel. Ses activités touchent également à l'audit et il prodigue des conseils auprès de filiales EDF à l'étranger. Il découvre ainsi l'Argentine ou encore le Brésil.
La thèse
L'année 2003 marque un tournant dans son parcours. Il rejoint en effet RTE, où sa nouvelle mission consiste à travailler sur les prévisions pour maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande sur le réseau. Il se voit dans le même temps proposer un aménagement horaire qui lui permet de concilier ses activités avec son premier projet : effectuer sa thèse. « Cela me tenait à coeur », explique-t-il. Il cumule son travail d'ingénieur et l'écriture de sa thèse : « Mon métier requerrait une présence physique dans les locaux de RTE, ainsi qu'une certaine disponibilité. Ma thèse relevait du travail à long terme. En quelque sorte, c'était le sprint contre l'endurance. » Son thème de recherche porte sur les méthodes semi-paramétriques, qui sont utilisées pour émettre des prédictions sur une quantité, par exemple sur la consommation d'électricité. Ces prédictions sont établies en fonction de plusieurs variables, comme, par exemple, le propre passé de la quantité étudiée et la température. Vincent Lefieux a recours aux séries temporelles pour établir ses résultats. « Même si j'effectuais cette thèse en vue d'appliquer les méthodes semi-paramétriques à la consommation d'électricité, mon travail de recherche s'inscrivait dans un problème mathématique beaucoup plus large », se souvient-il. Il soutient sa thèse en 2007 et maintient ensuite des liens très forts avec le monde académique, par le biais de l'enseignement, dispensant notamment un cours de probabilités à l'ENSAI. En 2009, il accède à un poste de PAST (maître de conférence associé à temps partiel) à l'Université Pierre et Marie Curie. Il intègre le Laboratoire de Statistique Théorique et Appliquée et enseigne au sein de l'ISUP.
Chef de pôle à RTE
Sa carrière évolue également. Il devient responsable d'un pôle nouvellement créé, celui-là même qu'il dirige toujours aujourd'hui, et gère une équipe éclectique : « Certains sortent d'écoles d'ingénieurs ou de masters spécialisés, d'autres ont un doctorat. Par exemple, j'ai récemment recruté une docteure en statistique. La valeur ajoutée des diplômés en mathématiques, c'est leur ouverture d'esprit. Ils ne sont pas formatés et savent très bien s'adapter. » Les problèmes traités sont variés et touchent aussi bien à la prévision, à la modélisation, aux probabilités, au calcul de risque, qu'à la compréhension des productions photovoltaïques et éoliennes, aux sondages et aux panels de consommateurs... « Je suis responsable de l'aiguillage, du pilotage, et je conduis des projets. J'ai également des responsabilités vis-à-vis de mon équipe : je gère des problèmes de ressources humaines et j'assure un travail de formation. »
« Le doctorat est un gage d'imagination et de rigueur. »
Grâce à son doctorat, Vincent Lefieux a pu accéder à de nouvelles responsabilités, mais ce n'est pas tout : « Faire une thèse m'a permis de mieux comprendre les outils que j'utilisais, d'avoir une meilleure compréhension des problématiques à l'oeuvre. J'ai pris du recul. Le doctorat constitue en quelque sorte un apprentissage de soi-même. C'est un exercice qui s'avère extrêmement enrichissant, et qui ouvre sur de nouvelles problématiques techniques et de nouveaux modes relationnels. Il indique que vous êtes persévérant et ouvert d'esprit. » Il conclut : « Le doctorat est un gage d'imagination et de rigueur. »
L'art de l'innovation financière
Diplômé de l'Ecole Polytechnique et de l'ENSAE, Eric Benhamou suit d'abord le DEA Probabilités et Finance de Paris 6, dirigé entre autres par Nicole El Karoui, avant de compléter sa formation par une thèse de mathématiques. Il est aujourd'hui à la tête de l'entreprise qu'il a fondé, Pricing Partners, spécialisée dans la valorisation de produits financiers non listés. Les mathématiques financières sont au cœur de son parcours, marqué par un souci constant d'innovation.
Diplômé de l'Ecole Polytechnique et de l'ENSAE, Eric Benhamou suit d'abord le DEA Probabilités et Finance de Paris 6, dirigé entre autres par Nicole El Karoui, avant de compléter sa formation par une thèse de mathématiques. Il est aujourd'hui à la tête de l'entreprise qu'il a fondé, Pricing Partners, spécialisée dans la valorisation de produits financiers non listés. Les mathématiques financières sont au cœur de son parcours, marqué par un souci constant d'innovation.
À la London School of Economics
C'est à la London School of Economics qu'il soutient sa thèse, axée sur le calcul numérique. Il se penche en particulier sur le calcul de Malliavin, établi par le mathématicien Paul Malliavin en analyse stochastique et fréquemment utilisé en mathématiques financières. Son objectif est alors d'améliorer les performances en calcul numérique en finance. Deux ans après le début de sa thèse, il parvient en effet à réduire le temps de calcul nécessaire pour estimer les indicateurs financiers.
Innovation et technicité
Sa thèse soutenue, il intègre le service Recherche&Développement de Goldman Sachs en 2000, à Londres, où il se spécialise dans l'analyse quantitative. Son travail consiste à calculer les risques financiers sur des produits dérivés. Pour ce faire, il a recours à des modèles mathématiques complexes. Trois ans après son arrivée à Goldman Sachs, il rejoint le service Recherche&Développement de Ixis. Là encore, il se penche sur le développement de modèles mathématiques pour la finance. « Je suis rentré sur des postes très techniques, où il était primordial d'être innovant. Mon travail consistait à trouver des solutions à des problèmes très concrets », se souvient-il.
« Pricing Partners, c'est l'aboutissement de mon parcours. »
En 2005, il saute le pas et fonde sa propre société, Pricing Partners. Une décision longuement réfléchie : « J'ai réalisé que les modèles mathématiques développés dans les banques où je travaillais pouvaient intéresser d'autres types d’organismes, comme les sociétés de gestion ou d'assurance. Je souhaitais assurer une véritable diffusion de ces modèles. » Le cœur de son activité reste cependant les mathématiques financières : « C'est un domaine très pointu. » L'activité de son entreprise, basée en France, se découpe en deux parties. D'un côté, l'entreprise vend un logiciel qui incorpore les algorithmes les plus performants. De l'autre, elle assure un service de valorisation indépendante de produits financiers non listés. « La clé, c'est de trouver des gens brillants, qui ont un fort savoir-faire en mathématiques. À Pricing Partners, sur une équipe de vingt-cinq, nous sommes cinq à avoir un doctorat. Et quinze à pouvoir se prévaloir d'un niveau Bac+5 ou plus », détaille-t-il. « Pour l'anecdote, deux membres de l'équipe sont médaillés d'or aux Olympiades de mathématiques, dont l'un avec le score maximal ! » Les mathématiques à l’œuvre relèvent essentiellement du calcul de probabilités, mais aussi de la simulation numérique et des équations aux dérivées partielles. Il résume :« Pricing Partners, c'est l'aboutissement de mon parcours. »
De l'importance du doctorat
Son entreprise maintient un lien fort avec le milieu universitaire. Eric Benhamou rencontre régulièrement des professeurs et des étudiants : « Nous cherchons à recruter, mais aussi à établir un partenariat d'idées avec le milieu académique. » À ses yeux, le doctorat tient une place essentielle. « Le temps passé en thèse vous amène plus loin dans vos connaissances, vous pousse à apprendre toujours davantage. Mais au delà des savoirs acquis, faire une thèse permet d'entreprendre un cheminement intellectuel et une démarche qui plus tard vous apporteront beaucoup en termes de réflexion. En effet, avant le doctorat, on vous demande surtout d'apprendre, et on vérifie que vous ayez bien compris. Tandis qu'en thèse, la démarche n'est plus du tout la même. C'est vous qui posez les questions, et y trouvez les réponses », explique-t-il, avant d'ajouter : « En thèse, j'ai pu faire des choses complètement nouvelles. » Il conclut : « Le doctorat est l'indicateur d'un fort potentiel de réflexion. C'est pourquoi il ouvre beaucoup de portes, en France comme à l'étranger. Ce diplôme a un rayonnement international. »